TACRA I-3

TRIBUNAL DES ANCIENS COMBATTANTS (RÉVISION ET APPEL)

DÉCISION D'INTERPRÉTATION

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :
 
25 et 26 janvier 2021
DÉCISION RENDUE : mai 2021

 

Objet : Interprétation du paragraphe 2(1) et de l’article 45 de la Loi sur le bien-être des vétérans, et du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, et interprétation de l’avocat en chef des pensions en vertu du paragraphe 37(1) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), et de l’article 6 du Règlement sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel)

MEMBRES DU COMITÉ : M. J.A. Bouchard
  M. Christopher J. McNeil
  Mme Rose Marie Braden
  M. Patrice Carrière
  Mme Constance Robinson
   
COMPARUTION : Me Steven Woodman, Bureau de services juridiques des pensions
  Me Lisa Laird, Bureau de services juridiques des pensions
  Me Vincent Lambert, Bureau de services juridiques des pensions
  Me Susan R. Taylor, représente du Procureur général du Canada
  Me Christopher Rootham, Fédération de la Police Nationale
  Me Nelligan O’Brien Payne, Fédération de la Police Nationale
   
QUESTION : À la suite de discussions préliminaires avec l’avocat-conseil en chef du Bureau des services juridiques des pensions (BSJP) et les parties intéressées, les questions ont été élargies afin de traiter également des membres de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et des services de santé de la GRC, de sorte que les questions présentées par l’avocat-conseil en chef lors de l’audience des 25 et 26 janvier 2021 se lisent comme suit :
Est-ce qu’une invalidité est attribuable au service, consécutive ou directement rattachée au service, et/ou est-elle liée au service lorsque l’invalidité est le résultat :
  1. d’un traitement médical ou dentaire fourni ou autorisé par les services de santé des Forces armées canadiennes (FAC) ou de la GRC; ou
  2. de l’absence de traitement médical ou dentaire fourni ou autorisé par les services de santé des FAC ou de la GRC.
La question consiste également à déterminer si une invalidité, découlant d’une négligence médicale commise par les FAC ou la GRC ou en leur nom, et/ou d’une incapacité à obtenir un traitement approprié, est une invalidité liée au service.

PREUVE :

Pièces déposées en preuve :  
Pièce I-1 : BSJP – Affidavit de M. Dauphin
Pièce I-2 : BSJP – Affidavit de M. Dauphin
Pièce I-3 : PGC - Affidavit de C. Garrett-Baird
Pièce I-4 : PGC - Affidavit de K. Butler
Pièce I-5 : PGC - Affidavit de Dr M. Lorenzen

LE COMITÉ D’INTERPRÉTATION DÉTERMINE :

Le Comité d’interprétation (le Comité) estime que les demandeurs des FAC et de la GRC peuvent être admissibles à des prestations d’invalidité pour une invalidité découlant d’une blessure causée par un traitement dans le cadre du service. Les demandes doivent être analysées au cas par cas pour déterminer s’il existe un lien important avec le service, sans exiger des demandeurs qu’ils établissent la négligence.

  Signé le 14 mai 2021 par :
  J.A. Bouchard
  Christopher J. McNeil
  Rose Marie Braden
  Patrice J.J. Carrière
  C. E. Robinson

Index

  1. Pour faciliter la lecture, un index du contenu de la décision se trouve à la fin du présent document.

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Pouvoir de rendre une décision d’interprétation

 

 

  1. Le pouvoir du Tribunal de rendre une décision d’interprétation découle de l’article 37 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel).
  2. Le 6 mars 2020, l’avocat-conseil en chef du BSJP a soumis des questions pour qu’une décision d’interprétation concernant les membres des FAC soit rendue.
  3. À la suite de discussions préliminaires avec l’avocat-conseil en chef du BSJP et les parties intéressées, les questions ont été élargies afin de traiter également des membres de la GRC et des services de santé de la GRC, de sorte que les questions présentées par l’avocat-conseil en chef du BSJP lors de l’audience des 25 et 26 janvier 2021 se lisent comme suit :
    • Est-ce qu’une invalidité est attribuable au service, consécutive ou directement rattachée au service, et/ou est-elle liée au service lorsque l’invalidité est le résultat :
      1. d’un traitement médical ou dentaire fourni ou autorisé par les services de santé des FAC ou de la GRC; ou
      2. de l’absence de traitement médical ou dentaire fourni ou autorisé par les services de santé des FAC ou de la GRC.
    La question consiste également à déterminer si une invalidité, découlant d’une négligence médicale commise par les FAC ou la GRC ou en leur nom, et/ou d’une incapacité à obtenir un traitement approprié, est une invalidité liée au service.

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Le Tribunal et sa loi constitutive

 

 

  1. Conformément à la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) [le Tribunal] détient le pouvoir entier et exclusif de recevoir toutes les demandes de révision ou d’appel qui peuvent lui être soumises conformément à la Loi sur les pensions, à la Partie III de la Loi sur le bien-être des vétérans, à la Loi sur les allocations aux anciens combattants, et aux autres lois du Parlement, et d’en faire le traitement. Le Tribunal reçoit aussi les demandes de pension d’invalidité liées au service conformément à la Loi sur la continuation des pensions de la Gendarmerie royale du Canada et à la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada et rend des décisions à leur égard.
  2. Pour déterminer l’admissibilité en vertu de l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions, du paragraphe 2(1) et de l’article 45 de la Loi sur le bien-être des vétérans, un élément clé à établir est de déterminer si la maladie ou la blessure qui a donné lieu à l’invalidité faisant l’objet de la demande découle du service militaire (Force régulière ou Force de réserve) ou du service dans la GRC, ou y est directement liée.
  3. Au fil des ans, la détermination des circonstances qui justifient un lien avec le service a été étudiée dans différentes affaires. Le Comité d’interprétation n’est pas le premier à évaluer si les conséquences d’un traitement médical ou dentaire peuvent avoir un rapport avec le service. On trouvera à l’annexe A un historique des décisions du Tribunal et de ses prédécesseurs concernant les demandes pour relation de service relatives à des traitements médicaux ou dentaires.

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Observations

 

 

  1. C’est à la lumière des décisions judiciaires examinées à l’annexe A que le Tribunal a reçu la demande de décision d’interprétation de l’avocat-conseil en chef du BSJP.
  2. Conformément au paragraphe 37(2) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), des invitations à participer et à présenter des observations écrites ont été adressées à un certain nombre d’organisations dont la liste figure à l’annexe B.
  3. La représente du Procureur général du Canada (PGC), la Fédération nationale des policiers (FNP) et l’avocat-conseil en chef du BSJP, ont indiqué qu’ils présenteraient des observations écrites et des exposés oraux. Des observations écrites ont été reçues, ainsi que de nombreuses pièces. Un résumé des observations figure à l’annexe C.

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ANALYSE ET MOTIFS

 

 

2, et à l’article 2.1 de la Loi sur le bien-être des vétérans3.

  • Ces dispositions prescrivent une interprétation large et libérale des dispositions de ces lois en reconnaissance de ce que les membres des Forces canadiennes ont fait pour leur pays.

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Mise de côté des décisions d’interprétation précédentes : I-25 et I-31

 

 

  1. Les organismes qui ont précédé le Tribunal se sont penchés sur la question de savoir si les blessures ou les maladies découlant de traitements médicaux ou dentaires relevaient du régime de pension. Éventuellement, en 1978, l’interprétation I-25 a été publiée, concluant ce qui suit :
     
    • Le Tribunal est d’avis qu’une invalidité ou un décès découlant d’une négligence ou de soins médicaux inadéquats prodigués par le personnel militaire autorisé ou par le personnel des forces régulières ou encore découlant d’une erreur médicale ouvre droit à une pension en vertu du paragraphe 12(2) de la Loi sur les pensions.

    • En outre, le Tribunal estime que dans les cas où les décisions ont été rendues en vertu de la Loi sur la continuation des pensions de la GRC ou de la Loi sur la pension de retraite de la GRC, une affection ou un décès découlant d’une négligence ou de soins médicaux inadéquats ou encore d’une erreur médicale n’ouvre pas droit à une pension en vertu des dispositions du paragraphe 12(2) de la Loi sur les pensions4

      .
  2. En 1983, la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Mérineau, a suggéré que le seul lien d’un traitement médical effectué par des membres des FAC était une base trop ténue pour établir un lien direct avec le service. Par la suite, une autre décision d’interprétation, I-31, a été publiée. La décision d’interprétation I-31 a confirmé la décision d’interprétation I-25 en se basant sur le fait que le Tribunal précédent croyait que la Cour suprême du Canada n’avait pas l’intention que Mérineau ait une application générale.
  3. Les décisions récentes de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale dans Fournier (2018) et Fournier (2019) rejettent clairement la suggestion de la décision d’interprétation I-31 selon laquelle l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Mérineau pourrait être ignoré. En outre, si les décisions rendues dans l’affaire Fournier n’ont pas rejeté catégoriquement la décision d’interprétation I-25, les tribunaux ont indiqué que la manière dont elle était appliquée posait quelques difficultés5.
  4. Compte tenu du commentaire de la Cour dans les affaires Fournier (2018) et Fournier (2019), le Comité a décidé qu’il devait annuler les décisions d’interprétation I-25 et I-31. Plutôt que d’essayer de réhabiliter ou de clarifier les décisions d’interprétation antérieures, le Comité a déterminé qu’il était approprié, dans les circonstances, de revenir aux premiers principes. La discussion à l’annexe A examine cette question plus en détail.

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La négligence n’est pas nécessaire pour établir un lien avec le service

 

 

  1. Les parties avaient chacune une position quelque peu différente sur l’acceptabilité du concept de négligence dans le cadre du régime législatif du Tribunal. Cependant, toutes les parties ont convenu que la négligence n’était pas nécessaire pour établir un lien avec le service.
  2. Le Comité a conclu que le concept traditionnel de la négligence reflété dans la décision d’interprétation I-25 n’est pas approprié dans les régimes législatifs relevant du Tribunal. La négligence implique la constatation d’une faute et exige du demandeur qu’il établisse qu’une autre partie a manqué à son devoir de diligence. Ces concepts ne sont pas mentionnés dans la loi constitutive du Tribunal. La négligence ne s’intègre pas facilement dans un système législatif conçu pour être accessible aux demandeurs et rapide dans le traitement des demandes. Faire une réclamation pour négligence est typiquement difficile, puisque :
    • La pratique de la médecine est à la fois un art et une science, et la compréhension de ce qui constitue un traitement acceptable et un traitement optimal évoluent avec le temps;
    • De nombreuses affections peuvent donner lieu à de multiples solutions de traitement et les experts peuvent ne pas être d’accord sur celle qui est appropriée dans les circonstances;
    • De nombreux traitements médicaux comportent des risques inhérents, et les décisions sont souvent une question d’équilibre entre les avantages et les risques potentiels;
    • L’échec d’un traitement ne constitue pas nécessairement une négligence;
    • La preuve de la négligence peut ne pas être la preuve que la négligence a causé ou aggravé l’affection;
    • La preuve de la négligence peut ne pas être pertinente pour la question fondamentale du lien avec le service.
  3. Un problème fondamental de la conclusion de négligence est qu’elle détourne l’attention de la question centrale : l’invalidité faisant l’objet de la demande est-elle liée au service?
  4. Pour ces raisons, le Comité estime que la négligence n’est pas nécessaire pour établir un lien avec le service. Bien qu’il ne soit pas interdit à une partie requérante de présenter des observations concernant la négligence, cela n’est pas essentiel pour établir un lien avec le service.

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Le caractère unique des soins de santé et dentaires militaires

 

 

  1. Après avoir examiné les observations de toutes les parties participantes, le Comité conclut que les membres des FAC, pendant leur service, sont soumis à des systèmes de santé et dentaires militaires uniques.
  2. Les membres des FAC sont expressément exclus de la définition des « personnes assurées » en vertu de la Loi canadienne sur la santé, et la Loi constitutionnelle confie au gouvernement fédéral la responsabilité des soins médicaux aux membres des FAC.
  3. Les soins de santé et dentaires des FAC impliquent un mélange de fournisseurs de soins de santé militaires et civils. L’équilibre du mélange change et a changé avec les politiques des FAC au fil du temps. Par conséquent, le Comité doit tenir compte des circonstances particulières des soins de santé au moment de la blessure faisant l’objet de la demande.
  4. Certains soins de santé militaires continuent d’être dispensés par les fournisseurs de soins de santé des FAC dans les installations des FAC.
  5. La culture militaire qui consiste à ne pas se plaindre et l’inquiétude quant à l’impact potentiel sur la progression de la carrière peuvent avoir tendance à dissuader les militaires de signaler des blessures ou des affections préoccupantes alors qu’ils sont encore en service.
  6. Le service militaire implique souvent des affectations dans différentes régions, ce qui peut nuire à la continuité des soins.
  7. Les affectations dans des régions éloignées peuvent nuire à l’accès à des soins de qualité et/ou à des soins en temps opportun.
  8. L’éthos militaire, qui consiste à obéir aux officiers supérieurs et à accepter les directives de l’organisation, peut avoir une influence sur la perception qu’ont les militaires de leur propre contrôle sur leur santé et sur la question de savoir s’ils peuvent ou doivent consentir à un traitement recommandé par un fournisseur de soins de santé.
  9. Le Comité constate que les circonstances du service dans la GRC sont très différentes de celles des FAC. Les membres de la GRC ne sont pas actuellement exclus de l’application de la Loi canadienne sur la santé. La GRC ne dispose pas d’un cadre étendu de fournisseurs de soins de santé ou d’établissements de soins de santé. Néanmoins, la culture de la GRC peut aussi présenter des éléments qui dissuadent les membres de signaler des blessures ou des affections qui pourraient nuire à leur progression de carrière. Les membres de la GRC sont régulièrement mutés dans différentes régions du pays, ce qui peut nuire à la continuité des soins, et peuvent être affectés dans des collectivités éloignées où l’accès aux soins de santé et dentaires peut être très différent de ce qui est offert dans les grandes régions métropolitaines. Les soins de santé des membres de la GRC peuvent également être compliqués par la difficulté de suivre les dossiers médicaux dans les différentes affectations.

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Limites de l’interprétation des décisions Mérineau et Fournier

 

 

  1. Le Comité estime qu’il doit respecter l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mérineau. Cependant, Mérineau n’a abordé que la question de savoir si une demande liée à un traitement médical pouvait avoir un lien direct avec le service; cela n’empêche pas le Comité d’examiner si une telle blessure est « consécutive » au service.
  2. Le Comité estime que la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Fournier (2019), a clairement indiqué qu’il est toujours possible au Tribunal d’examiner si les demandes liées à des traitements médicaux sont consécutives au service6.
  3. En appliquant le raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Fournier (2019), le Comité estime que sa réponse aux questions en litige nécessite un examen du critère « consécutive ». Le Comité doit déterminer s’il existe des facteurs qui peuvent aider les demandeurs à comprendre le dossier à établir lors d’une demande de prestations découlant d’un traitement médical.

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Blessures causées par un traitement

 

 

  1. Pour éviter d’utiliser un langage qui suggère la nécessité d’une négligence, le Comité utilise l’expression « blessure causée par un traitement ». La blessure causée par un traitement peut résulter de soins dentaires ou médicaux, et comprend notamment les éléments suivants : un diagnostic erroné, une décision sur le traitement à fournir ou à ne pas fournir, l’absence de traitement ou l’absence de traitement en temps voulu, l’obtention ou l’absence de consentement, et la défaillance de l’équipement.
  2. Pour déterminer s’il y a une blessure causée par un traitement, il faut déterminer s’il y a suffisamment de preuves d’une blessure, si des soins adéquats étaient disponibles et fournis, dans quelle mesure le traitement a contribué à l’invalidité faisant l’objet de la demande, si le résultat allégué est une partie nécessaire du traitement, si le résultat allégué est une conséquence ordinaire du traitement au moment où le traitement a été fourni, si le demandeur a refusé (n’a pas donné son consentement) le traitement recommandé, si le résultat découle d’un traitement retardé (comme de longues listes d’attente pour une procédure), et si le résultat du traitement a été préjudiciable ou simplement un échec.
  3. Le Tribunal examinera les faits précis de l’affaire dont elle est saisie, en tirant toujours des conclusions en faveur des demandeurs lorsque cela est raisonnable, et en accordant aux demandeurs le bénéfice du doute, lors de l’évaluation des éléments de preuve, quant à savoir s’ils ont établi leur cause.

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Toutes les blessures causées par un traitement ne sont pas nécessairement admissibles

 

 

  1. Bien que le BSJP ait soutenu que les traitements médicaux et dentaires des FAC créent un facteur de lien avec le service, il a également reconnu que tous les traitements ne donnent pas nécessairement droit à des prestations. Les faits de chaque affaire doivent être soumis à une analyse au cas par cas. Le Comité a précisé la question, acceptant que les traitements médicaux et dentaires des FAC peuvent être un facteur pertinent, et que le lien avec le service doit être soumis à une analyse au cas par cas.
  2. Le Comité estime que cette approche est conforme à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Cole. La Cour a affirmé qu’il était dans l’intention du Parlement de fournir moins qu’une « couverture complète » relativement aux risques auxquels des hommes et des femmes peuvent être exposés alors qu’ils servent leur pays en temps de paix. Plus récemment, la Cour fédérale dans l’affaire Fournier (2018) a rejeté un argument expansif :
     
    • [103] Par ailleurs, la position de M. Fournier qui demande à la Cour d’éliminer l’exigence de la preuve de soins inadéquats pour ouvrir le droit à l’indemnité prévue à la Décision I-25 parait intenable. En effet, l’adoption d’une telle position aurait pour effet d’accorder à TOUS les membres des Forces atteints d’une invalidité le droit à une indemnité, alors même que le législateur a restreint le droit à une indemnité aux cas prévus à l’article 45 de la Loi.

  3. Le Comité note les similitudes entre les arguments avancés par le demandeur dans Fournier dans sa soumission de 2018 à la Cour fédérale, et les observations du BSJP. Le Comité estime que les préoccupations exprimées par la Cour fédérale dans l’affaire Fournier s’appliquent également aux arguments du BSJP. Cependant, la législation du Tribunal exige quelque chose de plus qu’une simple blessure causée par un traitement pour établir le droit aux prestations. Elle s’est révélée insuffisante dans l’affaire Mérineau pour un critère directement lié, et trop ténue dans l’affaire Fournier (2018).

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Établir une relation avec le service

 

 

  1. Dans les observations du BSJP, on demande à ce Comité de fournir des directives aux demandeurs aux fins de clarté.
  2. Dans l’affaire Cole, la Cour d’appel fédérale a refusé d’offrir des paramètres plus définitifs du critère de « cause importante », en déclarant :
     
    • [99] L’existence d’une causalité importante en matière de demande de pension d’invalidité aux termes de l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions est une question de fait. À mon avis, ceux qui possèdent des compétences spécialisées en matière de recherche des faits sauront certainement reconnaître un facteur important lorsqu’ils le constateront. De fait, il serait possible de reconnaître un rapport causal important tout simplement comme celui qui n’est pas négligeable. En outre, je ne suis pas du tout certain qu’il est sensiblement plus difficile pour les personnes compétentes chargées d’enquêter sur les faits de déterminer l’existence d’un facteur causal important qu’il ne l’a été pour eux de déterminer l’existence du facteur causal principal.
  3. Dans l’affaire Cole, la Cour d’appel fédérale s’est montrée confiante dans la capacité du Tribunal à reconnaître un facteur important lorsqu’elle en voit un. En effet, la réticence de la Cour d’appel fédérale à offrir plus de clarté sur ce qui est nécessaire pour déterminer si un facteur est « important » devrait être considérée comme une mise en garde contre toute tentative d’obtenir plus de précisions, au risque de nuire au pouvoir discrétionnaire du Tribunal d’examiner le cas de chaque demandeur en fonction de ses faits et de son contexte précis et uniques.
  4. Dans l’affaire Nicol c. Canada (Procureur général)7, la Cour fédérale s’est penchée sur la nature propre à chaque cas du travail du Tribunal :
     
    • [29] Il est évident que chaque affaire constitue un cas d’espèce et un certain nombre de facteurs peuvent être pris en considération pour établir s’il existe un lien de causalité suffisant entre les blessures et le service militaire. Dans la décision Fournier, le juge Mosley a mentionné que les facteurs suivants étaient applicables à cette analyse :
       
      • [35] Il est clair, d’après la jurisprudence, que les facteurs comme le lieu de l’accident, la nature de l’activité exécutée par la demanderesse à ce moment‑là, le degré de contrôle exercé par l’armée sur la demanderesse lorsque l’accident est survenu et le fait qu’elle soit en service à ce moment‑là, sont tous pertinents à la décision que doit prendre le Tribunal sur le fait que la blessure était consécutive ou rattachée au service militaire de la demanderesse. Toutefois, il est également clair d’après la jurisprudence qu’aucun de ces facteurs n’est déterminant.
  5. Dans la décision Nicol, la Cour fédérale poursuit en concluant que :
     
    • [36] Les faits de l’espèce tombent dans une zone grise : certains favorisent la demande de la demanderesse, d’autres non. En fin de compte, il faut établir si une situation particulière fait ressortir le lien de causalité exigé pour donner droit à une pension. Bien que je sois très sensible à la situation de la demanderesse et à celle de son défunt mari, situation qui découlait d’un accident de voiture particulièrement regrettable survenu le 1er juillet 1954, et que j’aurais probablement tiré une conclusion différente de celle tirée par le TAC si j’y siégeais, je ne peux conclure que sa conclusion était déraisonnable.

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Le critère du lien avec le service

 

 

  1. Les demandes de prestations pour une blessure causée par un traitement nécessitent une analyse multifactorielle où aucun facteur ne l’emporte automatiquement sur les autres. La pondération des facteurs exige une vision globale des éléments de preuve dans les circonstances uniques et précises de chaque cas. Les facteurs possibles sont les suivants :
    1. Le lieu du traitement médical ou dentaire (sur la propriété des FAC ou de la GRC, affectations à distance);
    2. Le contexte des soins médicaux ou dentaires demandés ou fournis (examens de routine, plaintes précises, consultation d’un spécialiste ou soins d’urgence);
    3. Qui a prodigué les soins (personnel médical des FAC, autre personnel militaire des FAC ou allié, personnel civil sous contrat avec les FAC ou la GRC, personnel médical civil ou autres civils);
    4. Le degré de contrôle exercé par les FAC ou la GRC sur le demandeur au cours du traitement médical ou dentaire;
    5. Si le service interfère avec l’accès aux soins ou la continuité des soins;
    6. L’affection/invalidité faisant l’objet de la demande se situait-elle dans les résultats attendus?
    7. L’impact/influence de l’éthos militaire.
  2. Les facteurs susmentionnés ne sont pas les seuls facteurs possibles à prendre en considération; il peut y en avoir d’autres qui devraient être pris en compte dans le cas particulier soumis au Comité. Cette liste ne doit pas être utilisée comme un exercice comptable pour déterminer combien de facteurs soutiennent ou non un lien avec le service. Les demandeurs doivent démontrer que le lien avec le service est important, mais il n’est pas nécessaire qu’il soit le seul facteur, ni même le principal facteur de causalité. Chaque comité doit exercer ses responsabilités délibératives pour évaluer ces considérations en fonction de l’exigence de tirer des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible au demandeur ou à l’appelant, d’accepter tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence et de trancher en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

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DÉCISION

 

 

  1. Le Comité estime que les demandeurs des FAC et de la GRC peuvent être admissibles à des prestations d’invalidité pour une blessure causée par un traitement dans le cadre du service. Dans tous les cas, la demande doit être analysée au cas par cas pour déterminer s’il existe un lien important avec le service, sans exiger des demandeurs qu’ils établissent la négligence.

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Annexe A : Historique des décisions concernant le lien avec le service des conséquences d’un traitement médical/dentaire

 

 

  1. La Commission canadienne des pensions, un organisme prédécesseur du Tribunal des anciens combattants (révision et appel), a accordé le droit à une pension en vertu du paragraphe 12(2) [maintenant le paragraphe 21(2)] de la Loi sur les pensions dans certains cas où les invalidités alléguées étaient causées par des soins médicaux inadéquats. Cette pratique a été confirmée dans la décision d’interprétation I-258 publiée par le Conseil de révision des pensions en 1978 : issued by the Pension Review Board in 1978:
     
    • [traduction] Le Conseil tient à souligner que l’admissibilité à la pension qui découle d’une négligence, de soins médicaux inadéquats ou d’une mésaventure médicale se rapporte à l’invalidité ou à la partie de l’invalidité qui découle de l’acte de négligence. Ce critère a été illustré dans l’affaire Fox (E-338- [1974] 1 PRBR 27). Dans cette affaire, le Tribunal a accordé une indemnité d’aggravation pour avoir omis de traiter l’affection causée par le traitement à la pénicilline. Dans les faits, le droit à pension concernait l’effet de l’omission du traitement correctif.

    • … La médecine n’est pas une science exacte et la plupart des traitements, en particulier les interventions chirurgicales, comportent un élément de risque qui varie fortement selon les cas. Le patient est toujours informé et son consentement est demandé si des risques sérieux sont encourus. Si le traitement est administré de façon normale et que des soins raisonnables sont dispensés par des personnes compétentes, l’erreur médicale ne saurait être entièrement qualifiée de fortuite et elle fait partie des risques à prévoir. p. 3.

  2. Le Conseil a ensuite rendu la décision I-25 :
     
    • …Le Conseil a maintenu et maintient toujours qu’une invalidité qui résulte de complications regrettables ou d’une « erreur médicale » ouvre droit à pension si elle résulte de soins médicaux inadéquats (Houle, E-84, supra), d’une attention médicale insuffisante (Leblanc, E-1211, [1977] 1 PRBR 75, et Benson, E-65, [1873] 4 PRBR 386), d’une mauvaise administration médicale (Wilson, E-785, [1975]) 3 PRBR 352, ou de l’omission d’un traitement curatif, (Fox, E-338, supra). Le seul fait que le traitement n’ait pas réussi ne situe pas le cas dans les limites de dispositions du paragraphe 12(2). Dans tous les cas d’erreurs médicales ouvrant droit à une pension, le dénominateur commun est le fait qu’un élément de négligence soit en cause.

    • Le Conseil est d’avis qu’une invalidité ou un décès découlant d’une négligence ou de soins médicaux inadéquats prodigués par le personnel militaire autorisé ou par le personnel des forces régulières ou encore découlant d’une erreur médicale ouvre droit à une pension en vertu du paragraphe 12(2) de la Loi sur les pensions.

    • En outre, le Conseil estime que dans les cas où les décisions ont été rendues en vertu de la Loi sur la continuation des pensions de la GRC ou de la Loi sur la pension de retraite de la GRC, une affection ou un décès découlant d’une négligence ou de soins médicaux inadéquats ou encore d’une erreur médicale n’ouvre pas droit à une pension en vertu des dispositions du paragraphe 12(2) de la Loi sur les pensions9.

  3. Au début des années 1980, un membre des Forces armées canadiennes, Mérineau, a poursuivi le gouvernement fédéral pour le préjudice qu’il avait subi suite à une transfusion sanguine comportant le mauvais groupe sanguin. Les règles applicables à de telles poursuites prévoient qu’on ne peut pas poursuivre le gouvernement dans certaines circonstances lorsqu’un autre recours administratif est disponible. Le gouvernement a demandé à la Cour fédérale de mettre fin à la poursuite de Mérineau au motif qu’il avait un autre recours, en vertu de la Loi sur les pensions. La Cour fédérale a rejeté la demande sur ce motif. La majorité de la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la Cour fédérale. Toutefois, le juge Pratte a exprimé son désaccord en faisant remarquer que, bien qu’il y ait un lien entre la blessure et le service, le « lien me paraît trop éloigné pour que l’on puisse dire que le dommage se rattache directement à son service militaire ». En 1983, l’affaire a été portée devant la Cour suprême du Canada. Entre-temps, la demande de pension de Mérineau en vertu de la Loi sur les pensions avait été refusée. Le juge Beetz a prononcé le jugement oral de la Cour suprême du Canada10, adoptant la dissidence du juge Pratte de la Cour d’appel fédérale :
     
    • Il y a certainement un lien entre le dommage dont l’appelant demande réparation et son statut de militaire, mais ce lien me paraît trop éloigné pour qu’on puisse dire que le dommage se rattache directement à son service militaire.
  4. Peu après l’arrêt de la Cour suprême, on a demandé au Conseil de révision des pensions (CRP) de réexaminer la décision I-25 à la lumière de la décision rendue dans Mérineau. Le CRP a noté que l’objectif de la nouvelle audience était de déterminer si l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Mérineau a effectivement renversé la décision d’interprétation I-25, si le CRP est lié par cette décision, et si oui, dans quelle mesure. En 1984, le CRP a publié la décision d’interprétation I-31, qui a confirmé la décision I-25. Ce faisant, le CRP a estimé que l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Mérineau répondait aux circonstances précises de l’affaire, et ce, sans tenir compte de sa signification en dehors des questions immédiates de l’affaire, et qu’il a été rendu per incuriam. Par conséquent, le Conseil est d’avis que l’arrêt de la Cour suprême du Canada n’avait pas pour but d’infirmer sa décision dans I-25 et qu’il ne l’a pas fait11.
  5. Depuis la décision I-31, Anciens Combattants Canada et le Tribunal (ainsi que ses prédécesseurs) ont continué d’intégrer le concept de négligence dans l’examen des invalidités alléguées découlant de traitements médicaux ou dentaires fournis par les Forces armées canadiennes. La Cour fédérale a maintenu plusieurs décisions du Tribunal qui utilisaient cette approche, notamment : Balderstone c. Canada (Procureur général), 2014 CF 942 https://www.canlii.org/fr/ca/cfpi/doc/2014/2014cf942/2014cf942.html; Sloane c. Canada (Procureur général), 2012 CF 567 https://www.canlii.org/fr/ca/cfpi/doc/2012/2012cf567/2012cf567.html; Skouras c. Canada (Procureur général), 2006 CF 183 https://www.canlii.org/fr/ca/cfpi/doc/2006/2006cf183/2006cf183.html; Gannon c. Canada (Procureur général), 2006 CF 600 https://www.canlii.org/fr/ca/cfpi/doc/2006/2006cf600/2006cf600.html.
  6. Cependant, une autre série d’affaires a évolué à travers les décisions de la Cour fédérale concernant le lien avec le service. Le point central de cette autre série de décisions découle de la reconnaissance de deux critères différents pour établir le lien de la blessure ou maladie avec le service, à savoir, « consécutive ou rattachée directement à » celui-ci. La décision de la Cour fédérale dans l’affaire Cole c. Procureur général du Canada12 est considérée comme une affaire décisive pour orienter le Tribunal en ce qui concerne l’interprétation et l’application de ces critères.

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Cole

 

 

  1. Mme Cole a été libérée pour raisons médicales pour quatre affections, dont une dépression majeure et une dysthymie chronique avec des traits obsessionnels compulsifs. La demande de pension d’invalidité de Mme Cole pour dépression majeure a été refusée par Anciens Combattants Canada en raison de l’absence de lien de causalité entre l’affection faisant l’objet de la demande et son service militaire. Le dossier soumis au Comité contenait des preuves que la dépression de Mme Cole pouvait être attribuée à des facteurs liés au service militaire ainsi qu’à des facteurs liés à sa vie personnelle. Néanmoins, le Comité a rejeté la demande pour n’avoir pas établi que les facteurs liés au service militaire avaient causé ou aggravé l’affection faisant l’objet de la demande. La Cour fédérale a confirmé la décision du Tribunal, concluant que l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions exigeait que le demandeur établisse que le service militaire était la « cause principale » lorsqu’on applique le libellé « consécutive ou rattachée directement » de la Loi. Cependant, la Cour d’appel fédérale a adopté un point de vue différent.
  2. Dans son analyse, la Cour d’appel fédérale a tenu compte de la distinction entre le libellé de l’admissibilité dans le paragraphe 21(1) et le paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions. La Cour a noté que le paragraphe 21(1) s’appliquait aux demandes liées aux services rendus pendant la guerre ou le service spécial :
     
    • [35] Le paragraphe 21(1) de la Loi sur les pensions vise le service accompli durant la guerre et au service spécial. Les dispositions du paragraphe 21(1) de la Loi sur les pensions exigent que la blessure, la maladie ou le décès d’un militaire et son service militaire accompli durant la guerre ou en service spécial soient « survenu[s] au cours » de ce service militaire ou soient « attribuable[s] à celui-ci ». Ce degré de causalité a été désigné comme le [traduction] « principe de l’assurance », traduisant le désir du législateur d’assurer, en fait de protection par voie de prestations, une [traduction] « couverture complète » aux hommes et aux femmes qui ont été exposés à des risques alors qu’ils servaient leur pays pendant la guerre ou en service spécial (voir le Hansard, page 3167, 27 mai 1941). Ainsi, les mots « attribuable à » évoquent un degré de causalité entre, d’une part, le décès, la blessure ou la maladie, et d’autre part, le service pendant la guerre ou le service spécial, tandis que les mots « survenu au cours » évoquent seulement un lien temporel.
  3. La Cour d’appel fédérale a poursuivi en notant que le paragraphe 21(2) traitait des demandes liées à des circonstances différentes :
     
    • [36] Le paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions s’applique relativement au service dans la milice ou dans l’armée de réserve en temps de paix. Au paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, le lien entre la blessure, la maladie ou le décès d’un militaire et son service militaire en temps de paix est évoqué par l’expression « consécutive ou rattachée directement à » ce service militaire. La disposition comportant cette expression a été promulguée en 1941, et elle traduit l’intention du législateur d’assurer, en fait de protection au moyen de prestations, moins qu’une [traduction] « couverture complète » relativement aux risques auxquels des hommes et des femmes peuvent être exposés alors qu’ils servent leur pays en temps de paix. Ainsi, il appert que les mots « consécutive ou rattachée directement à » exige un degré plus élevé de causalité entre, d’une part, le décès, la blessure ou la maladie, et d’autre part, le service militaire en temps de paix, que ce qu’exige l’expression « survenue au cours […] ou attribuable à » au paragraphe 21(1) de la Loi sur les pensions.
  4. La Cour d’appel fédérale a poursuivi en observant que depuis la décision Frye, des points de vue divergents concernant le lien de causalité avec le service s’étaient développés :
     
    • [65] Il y a désaccord au sein de la Cour fédérale, particulièrement depuis que la Cour a rendu l’arrêt Frye, quant à savoir si les mots « consécutive ou rattachée directement à » à l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions exigent un degré de causalité correspondant au critère de la « cause principale » (voir Untel c. Canada (Procureur général), 2004 CF 451, [2004] A.C.F. no 555; Boisvert c. Canada (Procureur général), 2009 CF 735, [2009] A.C.F. no 1377; et Hall c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1431, [2011] A.C.F. no 1806). Et, puisque la Cour fédérale examine les décisions du Tribunal relativement à cette question d’interprétation, la divergence d’opinions au sein de la Cour fédérale a des répercussions sur des décisions du Tribunal.
  5. La Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Cole, s’est ensuite penchée sur l’importance de sa décision antérieure dans l’affaire Frye, en notant que :
     
    • [71] La Cour a retenu l’idée que le type de rattachement envisagé par les mots « rattachée directement à » était celui du lien direct entre la blessure mortelle et le service militaire du défunt. Dans les circonstances, le fait d’avoir été frappé par le camion constituait la cause directe de la blessure mortelle du caporal Berger, et cet événement malheureux n’était pas rattaché directement à son service militaire. Aussi, la Cour a convenu avec le Tribunal qu’il n’avait pas satisfait au critère correspondant aux mots « rattachée directement à ».

    • [72] La Cour a ensuite conclu que les mots « consécutive à » évoquaient un type différent de causalité entre la blessure mortelle et le service militaire du défunt. Autrement dit, une certaine sorte de lien autre que direct ou immédiat serait suffisant. La Cour n’a pas proposé de formulation précise de ce type de causalité non directe acceptable, mais elle a affirmé qu’une causalité acceptable n’irait pas jusqu’à inclure un simple lien temporel, comme le simple fait d’être au service des forces armées au moment de la blessure mortelle.
      ...

    • [75] La jurisprudence Frye enseigne qu’il y a deux types de causalité qui peuvent satisfaire aux exigences de causalité correspondant à l’expression « consécutive ou rattachée directement à » : la causalité directe ou la causalité indirecte. Pour parvenir à sa décision, à mon avis, la Cour a conclu que les activités de natation du caporal Berger répondant à une exigence militaire avaient été la cause indirecte de sa blessure mortelle, et sa blessure mortelle avait donc été « consécutive à » son service militaire.

  6. En appliquant le raisonnement de la décision Frye aux circonstances de l’affaire Cole, la Cour d’appel fédérale a noté que, alors que Frye traitait d’un seul lien de causalité indirect entre la blessure mortelle et le service militaire, dans Cole il y avait deux ensembles de facteurs de causalité distincts et directement liés. En outre, les facteurs militaires contribuant à l’affection faisant l’objet de la demande ne l’emportaient pas sur les facteurs personnels. Par conséquent, la Cour d’appel fédérale a estimé que le critère « rattachée directement à » n’était pas rempli13.
  7. La Cour d’appel fédérale s’est ensuite livrée à une analyse de l’interprétation du libellé du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions. Ce faisant, la Cour a estimé que ni le critère du facteur déterminant ni l’exigence que le demandeur établisse que le service militaire était la cause principale de l’affection faisant l’objet de la demande n’étaient compatibles avec le régime législatif. Toutefois, dans la décision rendue dans l’affaire Cole, la Cour d’appel fédérale a ajouté que, bien que l’admissibilité n’exige pas que le service militaire soit la cause prédominante de l’affection faisant l’objet de la demande, elle a également rejeté l’argument selon lequel tout niveau ou degré de lien de causalité serait suffisant. La Cour d’appel fédérale a estimé que le demandeur devait établir un lien de causalité « importante, mais moins que principale ».
    Cole, paragraphes 89, 94, 97
  8. Le critère de cause importante, tel que décrit par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Cole, demeure la norme selon laquelle le Tribunal évalue les demandes d’admissibilité. Le Tribunal reconnaît que le paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions et l’article 45 de la Loi sur le bien-être des vétérans offrent deux moyens potentiels d’établir un lien entre une blessure ou une maladie avec le service, à savoir, « consécutive ou rattachée directement à » celui-ci. Le Tribunal accepte également qu’un demandeur n’ait pas à démontrer qu’un facteur militaire a été le principal facteur contribuant à l’affection ou à l’invalidité faisant l’objet de la demande. Néanmoins, l’exigence selon laquelle le facteur doit être important ne signifie pas que n’importe quel niveau ou degré de lien de causalité serait suffisant; il faut plus qu’un lien ténu avec le service pour établir le droit.

Fournier (2018) et (2019)

  1. Il est compréhensible que les approches divergentes d’évaluation des demandes relatives à une invalidité survenue au cours d’un traitement médical ou dentaire aient suscité des questions pour le Tribunal quant à la façon dont ces modes de raisonnement devaient être appliqués par ses comités. Ces questions ont été mises à l’épreuve récemment dans l’affaire Fournier. M. Fournier, membre des FAC, s’est vu prescrire par un médecin civil de la quinine pour le syndrome des jambes sans repos. Afin de se conformer à la procédure médicale militaire, la prescription a été soumise à un médecin militaire pour approbation, ce qui a été fait. En présentant l’ordonnance au pharmacien, M. Fournier a été informé qu’une analyse sanguine était nécessaire. M. Fournier a vérifié auprès du médecin militaire et a été informé qu’elle n’était pas nécessaire. Quelques jours après le début du traitement à la quinine, M. Fournier a commencé à ressentir des symptômes de douleur et de fatigue dans les jambes, et a développé une éruption cutanée. On a rapidement diagnostiqué chez M. Fournier une vascularite induite par les médicaments. M. Fournier a par la suite présenté une demande de prestations d’invalidité en vertu de l’article 45 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes (maintenant connue sous le nom de Loi sur le bien-être des vétérans). La demande a été refusée par Anciens Combattants Canada. Lorsque l’affaire a été portée devant le comité de révision de l’admissibilité du TACRA, la décision I-25 a été appliquée. Le comité de révision a conclu que M. Fournier n’avait pas établi que les professionnels de la santé militaires n’avaient pas respecté la norme de soins appropriée. M. Fournier a alors demandé une décision au comité d’appel en matière d’admissibilité du TACRA, en faisant valoir que la jurisprudence établit qu’il n’est pas nécessaire d’établir une négligence médicale et que la décision I-25 ne doit plus être suivie. Le comité d’appel du TACRA a rejeté l’appel de M. Fournier, estimant que la négligence médicale était toujours un élément requis, et que la décision d’interprétation I-25 s’appliquait toujours. Le comité d’appel confirme la décision du comité de révision. M. Fournier a ensuite porté l’affaire devant la Cour d’appel fédérale. M. Fournier a présenté six arguments :
    1. La législation doit être interprétée de façon libérale et large en raison de son objectif14.
    2. Une invalidité causée par des soins qui ont été fournis, prescrits ou autorisés par les FAC est admissible en vertu du régime législatif en raison du lien entre l’invalidité et le service15.
    3. Dans l’affaire Hall, la Cour fédérale a déplacé le fardeau de la preuve de la négligence16.
    4. La décision I-25 n’est pas un précédent contraignant pour les comités du Tribunal et, en vertu du régime législatif, la preuve de la négligence n’est plus appropriée17.
    5. L’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mérineau ne doit pas être suivie, car elle porte sur un autre sujet et donne l’impression que la décision I-25 ne relève pas de la Loi18.
    6. L’obligation pour les militaires de consulter des professionnels de santé militaires et l’obligation pour les Forces armées canadiennes de fournir des soins médicaux établissent le lien requis avec le service militaire pour toute invalidité subie dans le cadre de ces soins médicaux19.
  2. Après avoir examiné l’impact de la décision I-25, la Cour fédérale a poursuivi en observant :
     
    • [85] Cela étant dit, il est difficile de comprendre comment le Conseil de révision des pensions peut inclure ce droit à une indemnité/pension dans l’interprétation du paragraphe 12(2) de la Loi sur les pensions alors en vigueur. En effet, l’article 12 de la Loi sur les pensions, tout comme l’actuel alinéa 45(1)a) de la Loi, exige qu’une maladie soit liée (consécutive ou directement rattachée) au service pour ouvrir le droit à une indemnité, alors que, selon la Décision I-25, la prémisse ouvrant un droit d’indemnité en cas de négligence médicale requiert au préalable que la maladie ne soit pas liée au service.

    • [86] La lecture de la Décision I-25 nous incite à conclure que le Conseil de révision des pensions a bonifié le système d’indemnisation prévu à la Loi et a créé le droit à une pension même lorsque la blessure, la maladie ou l’invalidité n’est pas liée aux fonctions militaires, à cause du régime particulier des membres des Forces et d’ailleurs, seulement pour eux20.

  3. La Cour fédérale s’est ensuite penchée sur l’examen de l’affaire Mérineau et de la décision d’interprétation subséquente I-31, estimant que la Cour fédérale ne pouvait pas approuver le raisonnement de la décision I-31 selon lequel la décision rendue dans l’affaire Mérineau était per incuriam21.
  4. En effet, dans l’affaire Fournier, la Cour fédérale a jugé qu’il était incompréhensible et incorrect de ne pas tenir compte de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Mérineau. La Cour fédérale a renvoyé l’affaire au comité d’appel pour qu’il détermine si le concept d’admissibilité énoncé dans la décision I-25 relève de la Loi sur les pensions; ce faisant, le comité doit tenir compte de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Mérineau22.
  5. La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la Cour fédérale dans Fournier (2018), en offrant les observations suivantes :
     
    • [32] … Il est vrai que la Cour fédérale ne semble pas avoir retenu l’interprétation qu’en propose l’appelant, à savoir que l’invalidité résultant des soins prodigués par un préposé des Forces dans le traitement d’une première condition non liée au service pourra constituer une nouvelle invalidité liée au service en cas de négligence. La Cour fédérale semble plutôt avoir considéré qu’il s’agissait là d’une bonification du régime créé par l’alinéa 45(1)a) de la Loi, en s’appuyant sur un passage de la Décision I-25 (« dont la rédaction n’est pas des plus heureuses », concède l’appelant au paragraphe 47 de son mémoire) qui réfère à ce cas de figure comme une invalidité n’étant pas liée au service.

    • [33] Même si l’interprétation proposée par l’appelant ne semble pas avoir été remise en question depuis qu’elle a été mise de l’avant par le Conseil en 1978 et n’avait pas été soulevée par les parties dans le cadre du présent dossier, et même si elle paraît a priori tout à fait défendable, il était néanmoins loisible à la Cour fédérale d’en questionner la validité. Il appartiendra néanmoins au Comité d’appel du Tribunal, à titre de tribunal spécialisé, de se prononcer sur cette question à la lumière des représentations que pourront faire les parties, comme l’y invite précisément la Cour fédérale en conclusion de ses motifs (Décision aux paras. 108, 109, cités supra au para. 25).

    • [34] L’appelant s’inquiète également des propos qu’a tenus la Cour fédérale relativement à l’impact de l’arrêt Mérineau sur la Décision I-25. Encore une fois, les craintes de l’appelant me paraissent injustifiées et non fondées. En effet, la Cour fédérale s’est contentée de réitérer un principe bien établi en droit canadien, soit celui du stare decisis. Il m’est difficile de voir une erreur dans l’affirmation que l’arrêt Mérineau est un précédent incontournable et que le Conseil ne pouvait s’en écarter dans sa décision I-31 au motif que la Cour suprême avait rendu sa décision per incuriam.

    • [35] Ceci dit, les propos de la Cour fédérale ne permettent pas de tirer des conclusions claires quant à l’impact qu’il faut donner à l’arrêt Mérineau relativement aux questions que visait à résoudre la Décision I-25. Ils ne permettent pas davantage de préjuger de la réponse qu’il faut donner à la question de savoir si l’implication du personnel médical militaire dans le traitement du syndrome des jambes sans repos dont souffrait M. Fournier était suffisante pour établir le lien requis entre l’invalidité découlant de ce traitement et le service militaire. Encore une fois, les paragraphes 108 et 109 laissent ces questions ouvertes, et il sera loisible à l’appelant de faire ses représentations sur les deux moyens qu’il a invoqués dans sa demande de contrôle judiciaire, à savoir que la négligence n’était pas requise et que les actes posés par les préposés des Forces rencontraient de toute façon ce standard23.

  6. Cet historique de décisions d’interprétation et de décisions des tribunaux a ouvert la porte aux considérations du Comité d’interprétation qui se penchent sur la décision I-3.

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Annexe B – Parties invitées à présenter des observations

 

 

Association Aboriginal Veterans Autochtones

Association canadienne des vétérans de l’Afghanistan

ANAVETS

Association canadienne des vétérans et membres actifs autochtones

Forces armées canadiennes

Association canadienne des vétérans des forces des Nations Unies chargées du maintien de la paix

Association canadienne des vétérans pour le maintien de la paix

Groupe de défense des intérêts des vétérans canadiens

It’s Just 700

Conseil national des associations d’anciens combattants au Canada

Fédération de la police nationale

Organisation canadienne des vétérans de l’OTAN

Vétérans de la guerre du Golfe persique

Association des Vétérans de la GRC

Légion royale canadienne

Gendarmerie royale du Canada

Anciens Combattants Canada

Fondation d’aide juridique aux anciens combattants

Ombudsman des vétérans

Vétérans NU-OTAN Canada

VETS Canada

Wounded Warriors Canada

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Annexe C : Observations

 

 

Observations du BSJP

  1. Le BSJP a fait valoir que le système de prestations d’invalidité créé par la Loi sur les pensions et la Loi sur le bien-être des vétérans est un système de prestations sans égard à la responsabilité. Les exigences législatives en matière de droit n’obligent pas le demandeur à établir une faute ou une négligence de la part des FAC ou de l’un de ses membres. Le BSJP soutient que l’un des principaux objectifs de la création d’un système administratif de prestations d’invalidité est de fournir rapidement une indemnisation aux demandeurs blessés, sans procédure judiciaire et sans avoir à satisfaire aux exigences d’une réclamation en matière de délit civil. Le Parlement a fourni des directives claires et expresses dans la Loi sur les pensions, la Loi sur le bien-être des vétérans et la Loi sur le Tribunal des anciens combattants, selon lesquelles toutes les dispositions de la législation doivent être interprétées de manière libérale afin de remplir l’obligation reconnue du peuple et du gouvernement du Canada de montrer une appréciation juste et appropriée à « ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge ».
  2. Le BSJP a également fait valoir que la Loi sur les pensions et la Loi sur le bien-être des vétérans contiennent une directive claire selon laquelle la grande dette morale de la nation envers les militaires et les vétérans doit être reconnue et admise par le biais d’une compensation équitable et d’autres avantages offerts en vertu des lois. Les dispositions prévoient expressément que toutes les lois relatives au régime de prestations doivent être interprétées de manière libérale et que les demandes doivent être entendues et réglées de manière aussi informelle et rapide que les circonstances et les considérations d’équité le permettent. Le BSJP a également fait observer que le Parlement a fourni des règles de preuve généreuses et de multiples présomptions légales et réglementaires conçues pour alléger le fardeau de la preuve sur les demandeurs, dans le but de les aider à établir le lien avec le service nécessaire.
  3. Le BSJP a fait valoir que la jurisprudence s’est appuyée sur ces indications textuelles de l’intention du Parlement pour conclure que les lois, y compris le lien de causalité requis pour les appliquer, doivent être interprétées de la manière qui facilite le mieux l’admissibilité et maximise les prestations, notamment : Hall, Frye, l’avocat-conseil en chef des pensions, Cole. En fait, il n’y a qu’une seule contrainte législative imposée à l’octroi de prestations pour des invalidités qui peuvent être largement liées au service militaire. Cette contrainte réside dans la distinction prévue par la loi entre le service en temps de guerre ou en service spécial et le service en temps de paix.
  4. Le BSJP a fait valoir que, tout en acceptant que les invalidités découlant d’une négligence de la part des FAC entrent dans le champ d’application du régime de prestations d’invalidité, il ne s’ensuit pas que la preuve de la négligence est nécessaire pour établir le droit à l’égard d’une invalidité découlant de décisions de soins médicaux prises par les FAC ou en leur nom. La décision de l’ancien Conseil de révision des pensions de s’appuyer sur le concept de responsabilité civile de la négligence médicale pour établir un lien avec le service pour de telles invalidités est contraire au principe fondamental du régime de prestations sans égard à la responsabilité prévu par la Loi sur les pensions et la Loi sur le bien-être des vétérans. Le BSJP a également fait valoir que rien dans les lois ou règlements pertinents n’appuie l’introduction de critères fondés sur la responsabilité pour le droit aux prestations d’invalidité : Untel c. Canada (Procureur général), 2004 CF 451. L’intégration du concept de responsabilité pour négligence va à l’encontre de l’objectif de fournir un système administratif sans responsabilité dans lequel les prestations peuvent être obtenues rapidement, de manière informelle et à un coût minimal. En outre, le BSJP a fait valoir que la jurisprudence des dernières années souligne la nécessité de reconnaître l’environnement juridique distinct créé par le régime administratif législatif. Bien que les principes traditionnels du droit civil ou criminel puissent inspirer un tel système, ces principes ne devraient pas être empruntés facilement pour en définir la portée, qui se trouve à juste titre dans sa loi constitutive : Godbout c. Pagé, 2017 CSC 18; Westmount (Ville) c. Rossy, 2012 CSC 30; Vavilov, supra, para. 113. Le BSJP a soutenu qu’il est intrinsèquement injuste et inéquitable sur le plan de la procédure de permettre que des déterminations de négligence soient faites dans des circonstances où la personne dont la conduite est en cause n’a pas le droit d’être entendue et ne peut présenter aucune défense. Les conséquences pratiques de l’introduction d’une telle exigence pour les médecins sont infiniment plus importantes maintenant que les décisions du Tribunal sont facilement et presque immédiatement accessibles aux membres du public grâce à la publication en ligne.
  5. Le BSJP a également fait valoir que l’interprétation de la Loi sur les pensions et de la Loi sur le bien-être des vétérans a évolué de manière importante depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada en 1983 dans l’affaire Mérineau. La Cour a estimé que l’action au civil d’un vétéran pour négligence n’était pas empêchée par la disponibilité d’une pension d’invalidité pour l’invalidité qui en résulte. De plus, bien qu’il y ait un lien entre l’invalidité du vétéran et son service militaire, ce lien était trop faible pour qu’elle soit « directement rattachée » au service au sens de l’article 12 (maintenant l’article 21) de la Loi sur les pensions.
  6. Néanmoins, le BSJP a fait valoir que l’arrêt Mérineau n’empêche pas ou ne retire pas la compétence du Tribunal d’interpréter d’autres aspects de l’article 21 de la Loi sur les pensions ou de l’article 45 de la Loi sur le bien-être des vétérans. Il n’exclut pas non plus le versement de prestations pour des invalidités attribuables ou directement rattachées à une négligence médicale commise par les FAC ou en leur nom, ou qui en découlent. La responsabilité d’interpréter les lois applicables et la portée du régime de prestations d’invalidité incombe en premier lieu au Tribunal. La Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) accorde expressément au Tribunal la compétence d’entendre et de décider des questions d’interprétation relatives à toute loi du Parlement en vertu de laquelle un appel peut être interjeté devant le Tribunal. Le BSJP a noté que la Cour suprême du Canada a récemment reconfirmé la compétence des tribunaux administratifs pour ce qui est d’interpréter leurs lois d’origine. La Cour a clairement indiqué que la décision d’interprétation raisonnable d’un tribunal doit être respectée et ne doit pas faire l’objet d’une ingérence des tribunaux, sauf dans des circonstances prescrites très limitées. En effet, la Cour suprême a jugé que « les cours de justice devraient généralement hésiter à se prononcer de manière définitive sur l’interprétation d’une disposition qui relève de la compétence d’un décideur administratif » : Canada (min. de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, para. 124.
  7. De plus, le BSJP a fait valoir que la question de la portée de l’article 21 de la Loi sur les pensions n’était pas en cause dans l’affaire Mérineau soumise à la Cour suprême. Comme l’arrêt découle d’un constat d’éloignement dans les circonstances particulières de l’affaire, l’arrêt peut légitimement être considéré comme limité à ses faits particuliers. Rien n’indique dans l’arrêt que la Cour avait l’intention de prononcer une règle ou un principe d’application générale. Ni le juge dissident de la Cour d’appel, dont la conclusion a été adoptée par la Cour suprême, ni la Cour suprême elle-même n’ont offert de motifs détaillés. Plus précisément, et surtout, l’arrêt Mérineau ne traite pas directement de l’aspect « consécutive au » du critère de l’article 21 de la Loi sur les pensions. Les décisions postérieures à l’arrêt Mérineau ont été considérées comme une autre voie, moins rigoureuse, vers l’admissibilité : Amos c. Insurance Corp of British Columbia, 1995 CanLll 66 (CSC); Frye, et Hall. En fait, Mérineau a été publié avant l’évolution substantielle de l’interprétation de l’expression « consécutive au » telle qu’elle figure dans la Loi sur les pensions et Loi sur le bien-être des vétérans ainsi que dans d’autres lois. Le BSJP a soutenu que la jurisprudence des cours fédérales et de la Cour suprême elle-même soutient maintenant une interprétation beaucoup plus large que dans Mérineau. Cette évolution interprétative a donné lieu à obiter dicta dans le raisonnement de la Cour fédérale dans Hall (2011) quant à savoir si l’affaire Mérineau serait jugée de la même manière aujourd’hui.
  8. Au cours des dernières décennies, la Cour fédérale a toujours considéré que les invalidités causées par une négligence médicale commise par les FAC ou en leur nom relevaient du régime des prestations d’invalidité. Comme l’a conclu la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta en 2002, l’ensemble du régime législatif de la Loi sur les pensions, dans la mesure où il concerne les membres des FAC, soutient le versement de prestations dans le cadre de la Loi aux militaires et aux vétérans qui souffrent d’une invalidité en raison d’une conduite inappropriée des autorités des FAC. La Cour de l’Alberta a conclu ce qui suit : « Il n’est tout simplement pas logique, dans le cadre de dispositions fondamentalement sans responsabilité, de refuser une pension à un membre des FAC en raison d’une conduite inappropriée de la part des autorités ». Levesque v. Canada (Attorney General), 2002 ABQB 520
  9. Dans les décisions rendues dans Fournier c. Canada (Procureur général), 2018 CF 464 (CF) et 2019 CAF 265 (CAF), la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux invité le Tribunal à réexaminer l’impact de Mérineau. Les tribunaux ont indiqué que le Tribunal devait se pencher sur l’interprétation de l’expression « consécutive ou rattachée directement au service militaire » en ce qui concerne les invalidités découlant des soins médicaux fournis, administrés et gérés par les FAC.
  10. Dans le cadre de ses observations, le BSJP a d’abord affirmé que si un militaire actif reçoit, se voit refuser ou est incapable d’obtenir un traitement médical ou dentaire et que cela cause ou aggrave de façon permanente une invalidité, cette invalidité est indemnisable. Cependant, à la fin de ses observations, le BSJP a apporté plus de nuances à sa position.
  11. Dans ses arguments oraux, le BSJP a critiqué la décision d’interprétation I-25, qui a adopté un modèle d’« erreur médicale » pour l’admissibilité alors que des problèmes médicaux ont donné lieu à des demandes. Le BSJP a noté que la décision I-25 exprime le souhait d’éviter le concept de faute professionnelle et de blâme. Le BSJP a également noté que la décision I-25 partait du principe que « Le patient est toujours informé et son consentement est demandé si des risques sérieux sont encourus ». Le BSJP a fait valoir que le consentement est un élément de la négligence médicale, mais il a été supposé dès le début, comme indiqué dans la décision I-25, que ces « patients captifs » donnaient leur consentement. Le BSJP a ensuite exploré les différents aspects du service qui peuvent empêcher ou altérer la capacité d’un militaire actif à donner son consentement.
  12. Le BSJP a également noté que lorsque la décision I-25 a été publiée, il y avait un échantillon très limité de cas qui avaient soulevé les questions abordées dans la décision. Le BSJP a fait valoir que la charge de prouver un manque de compétence médicale était un problème transmis au demandeur. Le BSJP a également contesté le fait que le traitement de cette question par ACC se résume à « faites-nous confiance, nous le saurons quand nous le verrons et nous serons généreux ». Le BSJP a fait valoir que ce système n’est pas approprié, en particulier lorsque les preuves sont principalement des dossiers médicaux relatifs au service préparés par le système médical militaire. Le BSJP a renvoyé le Comité d’interprétation à plusieurs exemples où il semblait y avoir a priori des preuves d’erreur médicale ou d’absence de prise en charge médicale appropriée qui ont néanmoins été refusées.
  13. Le BSJP a également fait valoir que si les décisions du Tribunal et des tribunaux font régulièrement référence à la nécessité d’être plus généreux, cela est démenti par le recours à une approche qui vise la négligence. Le BSJP a soutenu que cela est très éloigné du système simple et informel destiné à garantir que les vétérans reçoivent les prestations auxquelles ils ont droit.
  14. Le BSJP a fait valoir que toutes les parties devant le Tribunal s’entendent pour dire que l’arrêt Mérineau n’aide guère le Comité à interpréter la notion de « consécutive » du critère du lien avec le service.
  15. Le BSJP a noté que tant la Cour fédérale que la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Fournier ont trouvé difficile d’appliquer les critères prévus par la loi. Le BSJP a fait valoir qu’il est nécessaire de comprendre le cadre législatif plus large dans lequel un membre des FAC, et dans une moindre mesure, un membre de la GRC, se retrouve. Le BSJP a critiqué l’application par le Ministère des principes d’assurance et d’indemnisation, estimant qu’une telle approche se réduit à une sorte d’évaluation de l’indemnisation des travailleurs.
  16. Le BSJP a ensuite abordé le cadre législatif unique dans lequel les membres des FAC vivent et travaillent. La Loi constitutionnelle assigne au gouvernement fédéral la responsabilité de fournir des soins médicaux aux membres des FAC. La Loi canadienne sur la santé et les lois régissant les régimes provinciaux d’assurance-maladie excluent les membres des FAC de la liste des « assurés » aux fins de la prestation de services de santé par les provinces. Par conséquent, au nom du ministère de la Défense nationale (MDN) et des FAC, les commandants ont la responsabilité de s’assurer de répondre aux besoins des membres des FAC en matière de santé. Le commandant du Groupe des Services de santé des FC doit établir et maintenir une structure organisationnelle propre à aider le personnel soignant des FAC et à permettre aux commandants au sein de la chaîne de commandement de s’acquitter de leurs responsabilités relatives à la prestation de soins de santé aux militaires admissibles. Plus précisément, chaque membre des FAC est soumis à un examen médical lors de son enrôlement dans les FAC et peut être refusé pour des raisons médicales. Et tout au long de leur service, les membres des FAC sont tenus de respecter et de maintenir des normes de condition physique universelles, appelées « universalité du service », ainsi que des normes de condition physique propres à leur métier. L’universalité du service est d’une importance si fondamentale qu’elle est exclue de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
  17. En outre, les membres des FAC sont tenus de se soumettre à des examens médicaux et dentaires périodiques tout au long de leur service, conformément aux ordres émis par le chef d’état-major de la défense. (ORFC 34.16; 35.03). L’un des principaux objectifs de l’administration et de la gestion des soins de santé des militaires par les FAC est de maintenir ou de rétablir un militaire en service afin qu’il soit opérationnel et déployable. Ainsi, l’administration des services de soins de santé par les FAC est directement liée à l’exercice des fonctions des militaires. Les soins médicaux et dentaires des FAC sont soumis à de nombreux règlements et à une importante machinerie administrative qui découlent des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), chapitres 34 et 35, Volume 1 : Administration. La raison principale de cette large affirmation de contrôle et de gestion est l’objectif des FAC de s’assurer que ses membres sont opérationnellement aptes et prêts à répondre aux exigences du service partout dans le monde où ils peuvent être appelés à servir. C’est pourquoi les membres des FAC sont tenus par les règlements et les ordres de se soumettre à des examens médicaux à différents moments de leur carrière, de maintenir un niveau d’aptitude précis pour le service et pour leurs métiers respectifs, de se faire soigner par les FAC ou d’obtenir une autorisation préalable pour des soins médicaux extérieurs, et de signaler tout traitement reçu dès que possible, que le traitement soit lié ou non à une blessure ou une maladie liée au service. Dans ce contexte, la réception de soins médicaux auprès d’un médecin agréé par les FAC est par nature une activité liée au service : il s’agit d’un aspect obligatoire de l’emploi du membre dans les FAC : Hall, para. 48.
  18. Le BSJP a fait valoir que la réalité pratique de la vie militaire est que les militaires doivent accepter tout traitement recommandé par les conseillers médicaux des FAC ou risquer d’être jugés temporairement ou définitivement inaptes au déploiement, inaptes à la promotion, inaptes au service dans le métier qu’ils ont choisi, ou finalement inaptes au service continu dans les FAC. Le concept de consentement libre et éclairé, si fondamental dans le droit civil de la négligence médicale, ne s’adapte pas de manière pratique ou confortable à l’administration militaire des soins médicaux, dans laquelle le refus des militaires peut avoir des répercussions sérieuses et durables sur leur carrière et leurs moyens de subsistance, et peut constituer un refus d’un ordre légal avec de graves conséquences. D’autres facteurs ont une incidence sur l’applicabilité du consentement libre et éclairé dans le contexte militaire. Les médecins militaires ont souvent un grade supérieur à celui de leurs patients, de sorte que les consultations supposent une interaction avec un officier supérieur. L’inculcation de la culture et de l’éthos militaires, et en particulier le respect de la chaîne de commandement, ne sont pas des facteurs négligeables à prendre en compte pour déterminer la force du lien avec le service pour une invalidité découlant de décisions de soins médicaux prises par les FAC. En outre, les exigences opérationnelles et administratives uniques du service militaire peuvent avoir un impact important sur les décisions en matière de soins médicaux et dentaires et leurs conséquences, que l’affection sous-jacente ait ou non préexisté ou se soit développée sans lien avec le service militaire d’un militaire. Des décisions de gestion clinique apparemment appropriées peuvent avoir des conséquences médicales graves en raison de facteurs liés au service qui échappent au contrôle du patient et du médecin des FAC. Par exemple, les affectations à distance ou à l’étranger ou les changements fréquents d’affectation peuvent entraîner des retards dans le diagnostic ou dans l’obtention de services de traitement ou créer des difficultés administratives pour accéder à des dossiers médicaux précis et à jour. C’est pourquoi les Lignes directrices sur l’admissibilité au droit à pension d’Anciens Combattants Canada reconnaissent que l’incapacité liée au service d’obtenir une prise en charge clinique appropriée peut contribuer à l’évolution d’une invalidité ou à son aggravation, et/ou entraîner une nouvelle invalidité et, à ce titre, constitue un fondement légitime du droit à pension, indépendamment de toute négligence médicale.
  19. Le BSJP a également fait valoir que le lien avec le service militaire est établi par le concept de patient captif (pour la Force régulière et pour la Force de réserve dans certaines circonstances), mais aussi par plusieurs autres aspects de l’éthos, de la culture, de l’organisation et du contrôle militaires, qui touchent tous les soins de santé et tous les militaires. Il s’agit du code de discipline militaire, des ordres légaux, de la question de la responsabilité illimitée, de l’impossibilité de simuler, de feindre ou de retarder la guérison d’une blessure ou d’une invalidité, qu’elle soit personnelle ou liée au service; il existe un large éventail de maladies et de blessures dites personnelles qui ne le sont pas en réalité, car il faut les faire soigner; la condition physique de l’individu affecte la condition physique du groupe; les infractions qui découlent des actions des membres des FAC, le fait que certaines interventions sont clairement sans consentement. Le BSJP a également fait valoir que le cadre des FAC est unique en ce sens qu’en termes de divulgation des affections médicales, il existe une relation à double sens entre les FAC et le militaire. En outre, il y a l’importance des examens dentaires. Aussi, il y a le potentiel de libération, toute la notion de ce que signifie faire partie des FAC : l’esprit de corps, le service avant soi, la culture qui consiste à endurer et à se taire, et la honte morale de la parade des malades. Il est important que chaque militaire qui sert ait une relation particulière avec les services médicaux. Cela peut être la fin de leur carrière s’ils ne sont pas en forme, mais si, pour une raison quelconque, ils n’atteignent pas leurs objectifs de forme physique, ils peuvent ne pas être déployables. Le BSJP a souligné que cette compréhension du système des FAC est importante. Un membre des FAC qui reçoit des services médicaux suit les ordres, est en service et cette personne reçoit des traitements qui ont des résultats, soit par d’autres membres des FAC, soit par du personnel médical approuvé par les FAC. De nombreuses dispositions de la législation démontrent l’intention d’employer la définition la plus complète et la plus inclusive du service. En outre, les présomptions prévues par la législation, dont certaines concernent les sports, les transports, les dangers environnementaux, les tâches administratives et les pratiques coutumières, sont présumées faire partie du service.
  20. Pour les raisons susmentionnées, le BSJP soutient que tous les soins de santé sont liés au service. Néanmoins, le BSJP a poursuivi en notant qu’une analyse au cas par cas est toujours nécessaire pour déterminer l’impact de ces facteurs liés au service sur la manifestation ou l’aggravation de l’invalidité faisant l’objet d’une demande. Le BSJP a fait valoir que la plupart des traitements et des soins seront utiles et non nuisibles au patient. Le BSJP a convenu que le simple fait que le traitement ne réussisse pas ne fait pas entrer [l’affection traitée] dans les dispositions de la législation sur les vétérans. Cependant, lorsque les soins (ou l’absence de soins) causent un préjudice entraînant une invalidité durable, le BSJP a fait valoir que la nature militaire des soins ne peut être négligée simplement parce qu’un vétéran handicapé ne peut pas prouver une violation de la norme de soins du jour. Il convient donc d’envisager toutes les conséquences des soins de santé (ou de leur absence).
  21. Au cours de l’audience, le BSJP a parcouru la documentation d’ACC pour trouver un certain nombre d’exemples de blessures prétendument causées par un traitement médical. On a fait valoir que le système actuel, qui exige une conclusion relative à la norme de soins et ensuite une conclusion de négligence, est excessivement complexe. Elle demande que des concepts juridiques soient décidés par des arbitres qui n’ont pas de formation juridique. Souvent, aucun avis médical n’est préparé. En outre, les conseillers médicaux semblent réticents à attribuer des blâmes et fournissent souvent des conclusions défensives. Lorsque l’enquête porte sur une négligence, on tente de détourner le blâme et la personne qui en porte la charge est le demandeur. Le BSJP a fait valoir que les résultats de l’application de ces critères conduisent à des décisions absurdes et à des normes incohérentes. La question de la négligence n’est pas appropriée ou nécessaire. Un critère juridique fiable pour l’établissement d’un lien avec le service existe déjà dans la législation.
  22. Le BSJP a fait valoir que toutes les parties sont d’accord pour que les invalidités causées par une négligence médicale soient couvertes par la législation en tant qu’affections ouvrant droit à prestations. En outre, le BSJP a fait valoir que le fait de la négligence est lié à la question de la causalité. Si la négligence peut être démontrée, le demandeur a dépassé les exigences de Cole pour établir un lien avec le service.
  23. Le BSJP a fait valoir que les décisions rendues dans les affaires Hall, Lebrasseur et Frye permettent toutes d’élargir la voie vers l’admissibilité. En outre, dans l’arrêt Amos, la Cour suprême du Canada a estimé que la notion de « consécutive » doit être appliquée de manière large, et qu’il n’est pas nécessaire de s’en approcher.
  24. Dans ses observations orales, le BSJP a de nouveau déclaré que, conformément à Cole, la négligence n’est pas nécessaire pour justifier une admissibilité. Il n’y a qu’un seul critère d’admissibilité pour le service en temps de paix : le fait que l’affection soit consécutive ou rattachée directement au service. La décision I-25 n’a pas créé un système de primes, mais elle a emprunté un critère de l’extérieur de la loi et c’est la pièce problématique. La détermination de l’admissibilité ne devrait pas impliquer une évaluation de la pertinence, de la justification ou de l’absence de faute d’une décision médicale particulière. Le BSJP a fait référence à la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Untel, au paragraphe 33, où la Cour a déclaré qu’une telle décision soit justifiée ou non n’est pas du tout notre préoccupation. Le BSJP a fait valoir qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait une faute, mais seulement qu’une affection soit consécutive ou rattachée directement au service. Rien d’autre n’est requis.
  25. Compte tenu de l’impact de la décision de la Cour fédérale dans Frye, le BSJP a déclaré que le libellé concernant le lien avec le service est intentionnellement large. Il est destiné à saisir tous les impacts du service, qu’ils soient directs et immédiats ou moins directs et immédiats (Frye). Il est destiné à répondre à l’obligation que nous partageons tous envers ceux qui ont servi notre pays. Au lieu de demander ce qu’il inclut, la question devrait être de savoir s’il y a une raison pour que quelque chose soit exclue.
  26. Le BSJP a renvoyé le Comité à l’affaire Bradley dans laquelle la Cour fédérale a commis une erreur en se concentrant uniquement sur la question de savoir si l’acte de prendre une douche était lié au service. Le critère prévu par la législation était plus large.
  27. Le BSJP s’est référé au critère de Fournier (2005) comme un exemple de cas où une liste de facteurs à prendre en compte a dérapé. Sur la base du cadre législatif et de soins de santé unique des FAC, le BSJP a fait valoir que les soins de santé militaires sont, par nature, liés au service. Le BSJP a fait valoir que pour l’analyse, la question est de savoir s’il y a des éléments liés au service en cause, puis s’il y a des soins de santé militaires, il y a un facteur militaire, et l’analyse restante devrait se tourner vers la causalité qui est un élément distinct.
  28. Lorsqu’on a demandé au BSJP si les soins médicaux pour des questions qui n’ont pas d’incidence sur les considérations relatives à l’universalité du service devraient être considérés comme liés au service, le BSJP a répondu qu’étant donné le potentiel de nombreux éléments inattendus dans l’environnement militaire, le BSJP n’était pas prêt à dire que tout soin de santé est totalement sans rapport avec le service militaire. Le BSJP a renvoyé le Comité d’interprétation aux circonstances de l’affaire Hall où un traitement pour l’acné avait un lien avec le service.
  29. Le BSJP a été interrogé sur sa position dans les cas où les résultats médicaux sont connus dès le début du traitement et font partie du compromis risque/bénéfice. Le BSJP a répondu que, selon les circonstances du cas et du traitement, il peut être très difficile de déterminer quels aspects du traitement peuvent ou non être liés au service, ou attendus. Le BSJP a mis en garde contre le fait que les militaires actifs ne doivent pas être blâmés pour avoir accepté le risque. Là encore, une analyse au cas par cas est nécessaire.
  30. On a demandé au BSJP s’il y a un moment où l’aspect militaire du traitement devient simplement accessoire, par exemple, lorsque le seul lien avec le service militaire est un aiguillage vers un spécialiste civil. Le BSJP a répondu que ce scénario présuppose que ce sont les seuls faits essentiels. Le contexte est important. Le Tribunal doit examiner attentivement le scénario, en tenant compte de tous les aspects déjà discutés, y compris la question de savoir si le traitement est nécessaire pour faire le travail d’un militaire.
  31. Le BSJP a résumé ses principaux points :
    • Il n’est pas logique de considérer que les soins de santé militaires sont liés au service lorsqu’ils sont dispensés de manière incompétente, mais qu’ils ne le sont pas lorsqu’ils sont dispensés de manière compétente. Le lien avec le service ne change pas. Ils sont liés au service.
    • Lorsqu’une décision relative aux soins de santé entraîne une nouvelle invalidité ou provoque l’aggravation permanente d’une invalidité existante, ces conséquences sont indemnisables en vertu de la loi.
    • Il n’est pas nécessaire de chercher en dehors des lois pour trouver un critère fiable et utile pour établir le lien avec le service.
    • Une fois le lien avec le service établi, le demandeur doit encore établir la causalité.
    • Il n’est pas conseillé ou pratique de dire que chaque personne doit établir que les soins de santé militaires sont un facteur lié au service. Il n’est pas raisonnable que chaque demandeur doive apporter des preuves du contexte de l’environnement militaire dans le cadre de sa demande.
    • Le point de départ de l’analyse dans ces cas ne doit pas être les circonstances de l’apparition de la blessure ou de la maladie pour laquelle des soins médicaux sont demandés : Frye et Hall. Le critère d’admissibilité exige une analyse pour déterminer si les circonstances dans lesquelles le traitement a été reçu étaient suffisamment liées au service militaire pour justifier une indemnité.
  32. En ce qui concerne l’observation faite par le PGC au sujet du paragraphe 15(9) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le BSJP ne conteste pas la constitutionnalité de l’article. Le BSJP ne prend pas position sur la validité des normes individuelles qui composent la politique d’universalité du service. Le BSJP accepte que les FAC aient l’obligation d’accommoder jusqu’au point de contrainte excessive pour les circonstances qui ne touchent pas les principes d’universalité du service. La jurisprudence est claire, il y a une exception pour les circonstances qui touchent l’universalité du service et le BSJP affirme qu’il n’y a pas beaucoup de situations qui ne touchent pas l’universalité du service. C’est une caractéristique clé et unique des FAC.

Conclusion

  1. Le BSJP a conclu que les cours et le Tribunal ont affirmé à maintes reprises que les décisions relatives aux prestations d’invalidité doivent être prises en tenant compte de toutes les circonstances et qu’aucun facteur unique n’est contrôlant ou déterminant pour le résultat. Le fait d’imposer aux militaires et aux vétérans le fardeau considérablement onéreux d’établir la norme acceptable de soins médicaux ou dentaires du jour et de prouver ensuite sa violation comme condition préalable à l’admissibilité va à l’encontre de ce principe dominant, de l’évolution de la jurisprudence, de l’interprétation libérale requise de la législation et, surtout, de son objectif primordial.

Indexer

 

 

Observations du PGC

 

 

  1. Au début des observations du PGC, une question d’équité procédurale a été soulevée par celle-ci. Au cours d’une téléconférence préalable à l’audience, le PGC a demandé l’occasion de présenter des observations supplémentaires en réponse à des arguments imprévus soulevés par le BSJP, ainsi que de contester certains éléments de preuve contenus dans les affidavits des autres parties participantes. Comme il s’agit d’un processus non contradictoire, le Comité d’interprétation a autorisé la présentation d’observations supplémentaires sur des arguments imprévus, mais a refusé d’accepter des observations écrites contestant les preuves par affidavit des autres parties participantes. Lors de l’audience, le PGC a soulevé la question de l’équité procédurale, soutenant qu’il n’a pas été autorisé à répondre pleinement à certains des arguments détaillés présentés par le BSJP concernant la façon dont les FAC et la GRC fournissent des services de santé à leurs membres.
  2. Le PGC a fait valoir que cette audience d’interprétation est une réponse à la récente décision Fournier, dans laquelle la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont exprimé des préoccupations concernant les décisions d’interprétation I-25 et I-31.
  3. Le PGC a fait valoir qu’une blessure ou une maladie découlant de soins de santé fournis par les FAC ne suffit pas, à elle seule, à établir que la demande est « consécutive ou rattachée directement au service militaire » aux fins du droit aux prestations d’invalidité en vertu de la Loi sur le bien-être des vétérans ou de la Loi sur les pensions. Il faut davantage. Pour les membres des FAC, qui reçoivent leurs soins de santé des FAC, la négligence médicale est l’un des nombreux facteurs pertinents qui peuvent établir un lien entre le service et une blessure ou une maladie aux fins du droit aux prestations d’invalidité. Le PGC a fait valoir que la négligence devrait continuer à être un facteur pertinent pour les membres des FAC. Le PGC n’était pas d’accord avec la position du BSJP, qui estimait que toutes les conséquences des soins de santé devaient être couvertes. Le PGC a soutenu que cela équivalait à ce que le BSJP demande au Tribunal de créer une présomption. Le PGC a fait valoir que seul le Parlement peut créer une telle présomption.
  4. Le PGC a fait valoir que le BSJP affirmait que la présomption énoncée en vertu de l’alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions et de l’alinéa 50f) du Règlement sur le bien-être des vétérans est applicable. Toutefois, le PGC a fait valoir que cette présomption s’applique lorsque la blessure ou l’invalidité survient alors qu’un membre des FAC travaille. Le PGC a également fait valoir qu’il n’y a pas beaucoup de jurisprudence concernant l’alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions et l’alinéa 50f) du Règlement sur le bien-être des vétérans parce qu’il est habituellement évident qu’il y a un lien avec le service; par conséquent, il est rarement nécessaire de mentionner spécifiquement cette disposition.
  5. Le PGC a fait référence à trois décisions où les tribunaux se sont déjà prononcés sur cette présomption :
    1. La décision rendue en 2014 par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Newman c. Canada, 2014 CAF 218, qui portait sur la question de savoir si la maladie mentale de la demanderesse avait été contractée pendant le service militaire :
       
      • Selon l’alinéa 50f) du Règlement, Mme Newman est présumée démontrer, en l’absence de preuve contraire, qu’elle souffre de dysthymie chronique liée au service si la preuve présentée établit que la dysthymie chronique est survenue au cours « d’une opération, d’un entraînement ou d’une activité administrative militaire, soit par suite d’un ordre précis, soit par suite d’usages ou de pratiques militaires établis » ou, autrement dit, dans le cadre de ses fonctions comme membre des Forces canadiennes.
    2. Une autre décision à laquelle le PGC a fait référence et qui renvoie à cette disposition est MacDonald c. Canada (Procureur général) 1999, 164 F.T.R. 42, paragraphe 12, où le demandeur avait subi une blessure alors qu’il se trouvait à l’arrière d’un camion avec d’autres membres de son unité et avait été victime d’un accident au cours de son service militaire :
       
      • Pour aider encore plus l’auteur d’une demande, la Loi sur les pensions crée des présomptions en sa faveur; celle qui s’applique dans la présente demande est énoncée au paragraphe 21(3) :

      • Pour l’application du paragraphe (2), une blessure ou maladie – ou son aggravation – est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :

        • f) d’une opération, d’un entraînement ou d’une activité administrative militaires, soit par suite d’un ordre précis, soit par suite d’usages ou pratiques militaires établis, que l’omission d’accomplir l’acte qui a entraîné la maladie ou la blessure ou son aggravation eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le membre des forces;

      • Par conséquent, sauf preuve contraire, le lien de causalité est présumé si l’auteur de la demande a été blessé pendant son service militaire.
    3. Troisièmement, dans une affaire où la question était de déterminer si l’état psychiatrique du demandeur lié à l’anxiété avait été causé ou aggravé par le service militaire nécessitant de travailler avec des armes, la Cour fédérale, dans l’affaire MacNeill c. Canada, 1998, T2222-97, a conclu qu’en vertu de l’alinéa 21(3)f), « le lien de causalité est réputé exister si le trouble est survenu pendant que le demandeur accomplissait son service ».
  6. En réponse à l’argument du BSJP selon lequel cette présomption doit être déclenchée par un traitement médical, le PGC a fait valoir que lorsque la blessure n’est pas survenue pendant le service militaire, la présomption relative à l’alinéa 21(3)f) ne s’applique pas. Il faut plutôt procéder à une analyse au cas par cas.
  7. Le PGC a ensuite fait référence à des affaires judiciaires où une analyse au cas par cas a été décrite. Le PGC a commencé par la décision Fournier24 de 2005, confirmée par la Cour d’appel fédérale en 2006, qui énumère une série de facteurs à prendre en compte pour déterminer le lien avec le service au paragraphe 35 :
     
    • Il est clair, d’après la jurisprudence, que les facteurs comme le lieu de l’accident, la nature de l’activité exécutée par la demanderesse à ce moment-là, le degré de contrôle exercé par l’armée sur la demanderesse lorsque l’accident est survenu et le fait qu’elle soit en service à ce moment-là, sont tous pertinents à la décision que doit prendre le Tribunal sur le fait que la blessure était consécutive ou rattachée au service militaire de la demanderesse. Toutefois, il est également clair d’après la jurisprudence qu’aucun de ces facteurs n’est déterminant.
  8. Le PGC a également fait valoir que la Cour fédérale avait récemment examiné la décision Fournier de 2005 dans l’affaire Greene-Kelly c. Canada, 2018 CF 1188, où la demanderesse a été blessée alors qu’elle rentrait chez elle après un cours de français. Le Comité d’appel s’est appuyé sur le critère énoncé dans l’affaire Fournier, comme énoncé par la Cour au paragraphe 21 :
     
    • À mon avis, en l’espèce, le comité d’appel a interprété et appliqué correctement le critère permettant d’établir le droit à une pension d’invalidité aux termes de l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions. Il n’a pas, comme le laisse entendre la demanderesse, adopté un critère nouveau et interprété incorrectement l’expression « consécutive ou rattachée directement à » employée à l’alinéa 21(2)a). Au contraire, il a précisément fait référence aux facteurs non exhaustifs énoncés dans la décision Fournier au moment d’examiner si l’affection de la demanderesse était consécutive ou rattachée directement à son service dans la GRC. Le fait que le comité d’appel se soit fondé sur la décision Fournier démontre qu’il a interprété comme il faut l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions.
  9. Le PGC a fait valoir que le BSJP demandait au Tribunal de contourner l’analyse, comme décrite dans Fournier, et de passer directement de la constatation d’un préjudice causé par les soins de santé des FAC à la conclusion qu’il est lié au service. Le BSJP avançait que le modèle pour cette mesure se trouve dans les affaires Hall25 et Frye26. Toutefois, le PGC a fait valoir que ces cas n’échappent pas à l’évaluation. Dans l’affaire Frye,27 une analyse particulière a été effectuée afin de décider si la baignade récréative était liée au service. Le PGC a fait valoir que Frye soutient sa position selon laquelle une évaluation similaire à celle de Fournier (2005) est requise dans les demandes liées aux résultats des traitements.
  10. Le PGC a également fait référence à la décision Hall. Dans cette affaire, le Comité d’appel du TACRA a conclu que le demandeur n’exerçait pas ses fonctions militaires lorsqu’il recevait des traitements UV contre l’acné. Le traitement avait causé l’affection faisant l’objet de la demande, mais on lui a refusé une pension, car elle n’était pas liée au service. Cependant, la Cour fédérale n’a pas été d’accord, car le service militaire n’était pas le critère à appliquer. L’affaire a été renvoyée au Tribunal pour qu’il examine tous les faits. Le PGC a conclu qu’une analyse au cas par cas doit être faite pour tous les faits de chaque cas.
  11. Examinant les observations du BSJP relatives au régime législatif et à l’application du principe de l’assurance par rapport au principe d’indemnisation, le PGC a fait valoir que le Parlement a clairement fait la distinction entre le droit lié au service en temps de guerre et le droit lié au service en temps de paix. Il est prévu que les blessures ou les maladies survenues en temps de paix soient liées au service militaire lorsqu’elles sont consécutives ou rattachées directement au service militaire, tandis que les blessures ou les maladies survenues pendant le service spécial et le service en temps de guerre sont entièrement couvertes. Cette différence a été expliquée dans Bradley c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 793 :
     
    • Le paragraphe 21(2) prévoit le droit à une pension en vertu du principe d’indemnisation. Des prestations de pension peuvent être versées en cas d’invalidité, d’affection incapacitante, d’aggravation d’une invalidité ou de décès consécutifs ou rattachés directement aux exigences du service militaire en temps de paix. Comme les anciens combattants visés par ce paragraphe ne sont pas considérés comme étant de service vingt-quatre heures par jour, la présumée invalidité doit être directement rattachée à un incident survenu au cours du service ou à un facteur lié au service. Lorsqu’on n’arrive pas à citer un incident précis survenu au cours du service pour expliquer le décès, l’invalidité ou l’aggravation de celle-ci, il faut alors démontrer que les risques associés au service militaire sont plus susceptibles de constituer un facteur causal que les risques associés aux activités normales de la vie courante.
  12. Le PGC a conclu que le Parlement a indiqué de façon claire le contexte dans lequel il prévoit une application générale.
  13. Le PGC s’est opposé à la position du BSJP selon laquelle les blessures découlant des soins de santé ne sont pas toutes indemnisables, car cela dépend de si l’affection est une conséquence naturelle d’une blessure ou de si elle découle d’un traitement. Le PGC a fait valoir qu’il serait très difficile de déterminer la façon d’appliquer ce critère et qu’il ne constituerait pas un moyen efficace d’évaluer les demandes pour des blessures liées aux soins de santé.
  14. Le PGC a contesté l’argument de BSJP selon lequel, en raison du caractère unique du service militaire, les soins de santé et le service militaire sont intimement liés et que, par conséquent, toutes les conséquences liées aux soins de santé sont indemnisables. Le PGC avait deux problèmes avec cet argument :
     
    1. Les facteurs uniques relatifs aux FAC sont généralisés à l’excès par le BSJP. Le PGC a déclaré que la situation est beaucoup plus nuancée que celle présentée par le BSJP.
    2. Ces facteurs uniques peuvent être des facteurs à part entière lors d’une analyse au cas par cas.
  15. Le PGC a déclaré que les FAC sont responsables de la prestation d’une gamme complète de services de soins de santé de haute qualité à leurs membres, peu importe où ils servent. Les services de santé peuvent être fournis directement par les FAC ou au nom et aux frais des FAC par un fournisseur civil dans un établissement civil. Les FAC exploitent un certain nombre de services de santé destinés à des patients externes dans les bases militaires du Canada. Les FAC n’exploitent plus d’hôpitaux au Canada. Le PGC a fait valoir qu’en général, les membres des FAC peuvent choisir leur médecin lorsque les soins de santé sont externalisés. Les services de santé externalisés sont administrés par une compagnie d’assurance-maladie tierce avec laquelle le gouvernement du Canada conclut un contrat. Il y a actuellement plus de 140 000 fournisseurs de soins de santé enregistrés. Le PGC a fait valoir que les FAC ne peuvent pas superviser activement ou exercer un contrôle professionnel et technique sur ces fournisseurs de soins de santé, si ce n’est en exigeant qu’ils soient qualifiés et possèdent les titres de compétences appropriés.
  16. En contestant l’exactitude de l’affirmation de BSJP selon laquelle les FAC exercent un contrôle sur tous les aspects des soins de santé de ses membres, le PGC a fait référence à l’affidavit du Dr Lorenzen. Par exemple, l’autorisation du commandant d’un militaire n’est plus nécessaire pour recevoir des soins en dehors d’un établissement des FAC. De plus, seuls des renseignements limités liés aux contraintes à l’emploi peuvent être communiqués au commandant d’un militaire sans le consentement de ce dernier. De plus, un militaire a le droit de demander le médecin de son choix.
  17. Le PGC a également fait valoir que, bien que les militaires soient tenus de se soumettre à des évaluations périodiques de leur aptitude aux fonctions militaires, ils conservent le droit de participer ou non à ce processus. Le PGC a fait valoir que certains services de santé peuvent être nécessaires en tant que conséquence directe du service et être fournis par les FAC, tandis que d’autres sont des choix personnels, n’ont que peu ou pas de lien avec le service militaire et sont fournis par un fournisseur de services externe. Les services médicaux et dentaires fournis par les FAC varient considérablement en ce qui a trait au type, au fournisseur, au lieu, aux motifs et au niveau de contrôle exercé par les FAC, le cas échéant.
  18. Le PGC a fait valoir que l’affidavit du Dr Lorenzen était fondé sur des faits et étayé par des pièces, alors que l’affidavit du Dr Dauphin pour le BSJP était fondé sur son expérience personnelle, et non sur la manière dont les soins de santé des FAC sont réellement administrés. Le PGC a soutenu qu’il y avait des erreurs dans l’affidavit du Dr Dauphin, mais que ces questions ne pouvaient pas être abordées étant donné que le PGC ne pouvait pas déposer de preuves supplémentaires sur cette question.
  19. Le PGC a contesté la déclaration du BSJP selon laquelle le consentement ne peut jamais être véritablement donné librement. Le PGC a fait valoir qu’il existe des situations dans lesquelles le refus de consentir n’aura pas d’incidence sur une carrière. Le BSJP a déclaré que si un militaire refuse de se faire vacciner, il pourrait être congédié. Le PGC a déclaré qu’aucune preuve n’avait été fournie pour démontrer la véracité de cette affirmation et qu’elle aurait aimé fournir des preuves concernant ce point.
  20. Le PGC a également fait valoir que l’idée selon laquelle toutes les décisions relatives aux soins de santé sont prises en fonction de la carrière du militaire ne tient pas compte du fait que les décisions relatives aux soins de santé sont prises pour toutes sortes de raisons. Le PGC a estimé que l’affirmation du Dr Dauphin selon laquelle les militaires ont tendance à cacher leurs symptômes était une généralisation excessive. Le PGC a également fait valoir que l’affirmation selon laquelle les déplacements des militaires peuvent avoir une incidence sur la continuité des soins est également une généralisation excessive. Le PGC a fait valoir que le déménagement des membres des FAC vers un nouveau lieu ne signifie pas pour autant qu’il y aura des répercussions négatives sur leurs soins de santé.
  21. Le PGC a renvoyé le Comité d’interprétation à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Vavilov qui a confirmé que les tribunaux doivent « interpréter la disposition contestée d’une manière qui cadre avec le texte, le contexte et l’objet, compte tenu de sa compréhension particulière du régime législatif en cause ». Le PGC a également fait valoir que, même si la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale a précisé que le mot « consécutive » du paragraphe 21(2) doit être interprété de façon large (Frye), cela ne signifie pas que chaque situation doit être considérée comme étant liée au service (Schut c. Canada [Procureur général], 2000 186 FTR 212, paragraphe 26). La jurisprudence a démontré que tous les cas sont différents (Bradley c. Canada, 2011 CF 309) et qu’aucun facteur n’est déterminant à lui seul (Fournier c. Canada, 2005 CF 453, paragraphe 35, confirmée par la décision 2006 CAF 19).
  22. Le PGC a déclaré que chaque cas sera différent en ce qui a trait au lien avec le service militaire. Les facteurs ne sont pas exhaustifs. Il pourrait être nécessaire d’examiner la question du contrôle, de l’existence d’un consentement éclairé, ou de l’universalité du service. La négligence n’est pas le seul moyen de prouver le lien avec le service.
  23. Lorsque le Comité a demandé une liste de facteurs, le PGC a suggéré ce qui suit : recevoir les services dans un établissement civil ou dans un établissement militaire, si les soins de santé requis sont liés aux exigences de l’universalité du service, et si le demandeur a choisi son fournisseur de soins de santé.
  24. Lorsque le Comité a demandé dans quelles circonstances l’alinéa 21(3)f) pouvait s’appliquer, le PGC a déclaré que la question de si les soins de santé étaient nécessaires dans le cadre de leurs fonctions professionnelles pouvait être un facteur. Toutefois, la jurisprudence relative à ces dispositions, comme indiqué précédemment, indique que cette présomption s’applique normalement lorsqu’un militaire exerce ses fonctions.
  25. Le PGC a également fait valoir que certains soins de santé sont liés plus étroitement au service que d’autres.
  26. Le PGC a répondu à l’argument de BSJP selon lequel, en raison de l’universalité du service, les militaires renoncent à leurs droits constitutionnels et qu’il y a une absence totale de protections constitutionnelles lorsque l’universalité du service est en jeu. Le PGC a soutenu que le BSJP surestime l’incidence de l’universalité du service sur les droits des membres des FAC. Le PGC a déclaré que les membres des FAC sont assujettis à la fois à la Constitution et à la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), et que les FAC ont l’obligation de prendre des mesures d’adaptation jusqu’à ce qu’il y ait contrainte excessive. La politique des FAC en matière d’universalité du service, comme elle est reconnue au paragraphe 15(9) de la LCDP, prévoit que tous les membres de la Force régulière et de la Première réserve des FAC doivent être en mesure de satisfaire à certaines normes communes afin de pouvoir exécuter des fonctions communes au besoin, peu importe leur métier ou leur profession. Si le non-respect de ces normes particulières n’est pas en jeu, les FAC ont tout de même les mêmes obligations que tout autre « employeur » en vertu de la LCDP, soit de prendre des mesures d’adaptation pour les militaires jusqu’à ce qu’il y ait contrainte excessive. Le PGC a en outre fait valoir que l’argument du BSJP concernant l’universalité du service ne permet pas d’établir qu’une blessure ou une maladie découlant de soins de santé administrés par les FAC suffit à elle seule pour établir un lien entre le service et la blessure aux fins du droit à des prestations d’invalidité.
  27. Le PGC a fait valoir que la GRC n’est pas responsable des soins de santé de base de ses membres, qui reçoivent leurs soins dans leur collectivité dans le cadre de l’assurance-maladie provinciale et territoriale. Bien que la GRC emploie des médecins, des infirmières et d’autres professionnels de la santé, leur rôle principal est d’enquêter et d’évaluer l’aptitude au travail d’un membre conformément à leur programme de santé au travail. Dans des circonstances exceptionnelles, par exemple dans une affectation à un poste éloigné, un médecin-chef peut fournir des soins de santé. Le PGC a conclu qu’étant donné que les membres de la GRC ne reçoivent généralement pas de soins de santé de base de la part de leur employeur, toute blessure pourrait constituer une anomalie ou une exception à la règle générale et ne justifie pas la création d’une règle ou d’un principe pour les membres de la GRC. Au contraire, toute blessure découlant de la participation d’un membre au programme de santé au travail de la GRC devrait être examinée de la même manière qu’elle l’est actuellement – au cas par cas en tenant compte de toutes les circonstances.
  28. Le PGC a résumé la position du Canada comme suit :
     
    • Dans l’affaire Mérineau, la CSC n’a pas abordé la question du terme « consécutive ». Le PGC est d’accord avec les autres parties sur cette question. Le PGC a fait valoir que l’affaire Mérineau n’empêche pas qu’un préjudice lié aux soins de santé soit indemnisable.
    • Le PGC a fait valoir que la Cour, dans l’affaire Fournier (2019), s’est interrogée sur la question de savoir si la décision I-25 a établi une prime qui ne relève pas de la loi constitutive du Tribunal. La position du Canada est que la décision I-25 est simplement mal formulée. Elle ne crée pas une prime.
    • En ce qui concerne la négligence, le PGC a fait valoir que les FAC sont responsables des soins de santé. Si les FAC font preuve de négligence, si des membres des FAC ont causé l’erreur, alors elle est liée au service. S’il n’y a pas de négligence et qu’un militaire souffre d’une blessure due à des soins de santé, cela ne fait aucune différence qu’il s’agisse de soins civils ou militaires. La seule raison pour laquelle les soins de santé pourraient avoir une pertinence quant au lien avec le service est s’ils ont été fournis de façon négligente. Par conséquent, le PGC a fait valoir que la négligence est un facteur lié service, et qu’elle l’a été dans le passé. Le procureur général a également fait valoir que l’utilisation de la négligence comme critère n’a pas posé de problème dans le passé. Le PGC a fait valoir que rien ne prouve qu’il est difficile d’accéder aux dossiers médicaux. Le PGC a fait valoir que l’argument selon lequel il est difficile de prouver la négligence peut être valable pour de nombreuses demandes de prestations d’invalidité, c’est-à-dire que de nombreuses demandes sont difficiles à prouver. Le PGC a également fait valoir que la suggestion qu’un militaire pourrait être réticent à alléguer qu’il a été victime de négligence de la part d’autres membres des FAC est spéculative. Le PGC a conclu que la négligence, ou un autre facteur lié au service, est nécessaire pour prouver qu’une blessure découlant de soins de santé a été causée par le service ou est directement liée à celui-ci dans le contexte de soins de santé fournis par les FAC.

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Observations de la FPN

 

 

  1. La Fédération de la Police Nationale (FPN) a participé à l’audience pour soutenir le Tribunal en présentant le contexte des soins médicaux et dentaires de la GRC. En outre, la FPN a examiné les lois et la jurisprudence pertinentes, en se concentrant sur la manière dont le terme « consécutif » pourrait être applicable. Elle a également fourni quelques commentaires sur l’interrelation entre les blessures subies dans le cadre d’un traitement médical et un régime sans égard à la faute, avec les enseignements tirés d’autres administrations. La FPN n’a pas pris position sur le règlement final.
  2. La FPN a soutenu que le Tribunal est lié par l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mérineau en raison du stare decisis. Toutefois, la FPN a fait valoir que l’affaire Mérineau n’a pas pris de décision explicite sur le terme « consécutif », et que l’interprétation de cette expression s’est élargie depuis 1983. Par conséquent, l’affaire Mérineau n’est pas déterminante pour les questions dont le Tribunal est saisi.
  3. La FPN a examiné la jurisprudence pertinente en ce qui a trait à l’expression « consécutif », en se référant à l’analyse de Frye, confirmée ultérieurement dans l’affaire Cole. S’appuyant sur les affaires Frye et Cole, la FPN a conclu que « consécutif » signifie un lien de causalité important et non direct.
  4. La FPN a également fait valoir que l’un des facteurs permettant de déterminer s’il existe un lien de causalité important avec la blessure est le type de soins reçu par le membre de la GRC. En ce qui a trait aux soins de santé de base, en pratique, la GRC exerce très peu de contrôle. Depuis le 1er avril 2013, les soins de santé de base sont couverts par les régimes provinciaux d’assurance-maladie. Dans de rares cas, un médecin-chef assure le traitement principal. Les soins de santé complémentaires sont fournis par l’intermédiaire d’un régime d’assurance-maladie. Les soins de santé au travail sont le domaine où la GRC exerce un contrôle important étant donné que le commandant ou son délégué ont le pouvoir financier d’approuver les traitements et les services. Le médecin-chef a le pouvoir de préautoriser des traitements. Les dispositions en matière de soins de santé au travail peuvent s’appliquer lorsque le temps d’attente pour obtenir des soins dans le système de santé public serait inacceptable, entravant ainsi les opérations en raison de l’absentéisme ou des restrictions de travail. Les évaluations de l’aptitude au travail sont normalement effectuées tous les trois ans par un médecin désigné ou par un médecin-chef.
  5. La FPN a soutenu qu’un deuxième facteur permettant de déterminer s’il existe un lien de causalité important entre la blessure et le service dans la GRC est la nature du traitement. Par exemple, si la blessure était une conséquence naturelle du traitement auquel le membre a consenti.
  6. La FPN a soutenu que les actions des membres constituent un troisième facteur permettant de déterminer s’il existe un lien de causalité important entre la blessure et le service dans la GRC. Par exemple, le membre a-t-il ignoré ou suivi les instructions du médecin-chef?
  7. La FPN a fait valoir qu’un quatrième facteur serait le niveau de contrôle exercé par la GRC. La GRC exercera plus ou moins de contrôle selon la nature de la blessure ou de l’invalidité. Par exemple, lorsque l’affection a une incidence sur l’aptitude au travail du membre, la GRC peut ordonner le traitement dans le cadre des soins de santé au travail.
  8. La FPN a examiné des cas provinciaux d’indemnisation d’accidents du travail, des cas d’accidents automobiles et des cas de délits civils, et a conclu que la législation et la jurisprudence en matière d’indemnisation des accidents du travail étaient les plus similaires à la Loi sur les pensions. Dans la jurisprudence canadienne en matière d’indemnisation des accidents du travail, la nouvelle blessure créée par le traitement médical d’une blessure au travail peut être considérée comme étant « consécutive » à l’emploi du travailleur.
  9. La FPN a fait valoir qu’il n’y a aucune base législative pour que la négligence soit un élément déterminant dans les questions soumises au Tribunal. La FPN a soutenu que le concept de négligence ne cadre pas parfaitement avec un régime « sans égard à la faute », citant les expériences de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni.

Conclusions de la FPN

  1. Les services de santé de la GRC sont très différents des services de santé des Forces armées canadiennes. Cependant, la GRC exerce tout de même un certain contrôle. Le degré de contrôle dépend de la nature de la blessure, de si elle est liée au travail ou non, et d’autres facteurs. L’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mérineau est contraignant, mais non déterminant pour les questions dont le Tribunal est saisi. L’expression « consécutive » doit être comprise comme désignant un lien de causalité important, mais non direct.
  2. La FPN a fait valoir qu’il n’y a aucune base législative pour que la négligence soit un élément déterminant dans les questions soumises au Tribunal. La FPN a conclu qu’étant donné que les soins de santé au travail sont très différents des soins de santé de base, il n’y a pas de réponse unique pour les membres de la GRC en ce qui a trait aux questions dont le Tribunal est saisi.

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LE COMITÉ D’INTERPRÉTATION REND LA DÉCISION SUIVANTE :

 

 

Le Comité d’interprétation estime que les demandeurs des FAC et de la GRC peuvent être admissibles pour des invalidités découlant d’une blessure causée par un traitement médical dans le cadre du service. Dans tous les cas, la demande doit être analysée au cas par cas pour déterminer s’il existe un lien important avec le service, sans exiger des demandeurs qu’ils établissent la négligence.

Lois pertinentes :

Loi canadienne sur les droits de la personne

Loi constitutionnelle

Loi d’interprétation

Loi sur les pensions

Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada

Loi sur le bien-être des vétérans [L.C. 2005, c. 21.]

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), [L.C. 1987, ch. 25, art 1; L.R.C. 1985, ch. 20 (3e supp.), art. 1; L.C. 1994-95, ch. 18, art. 1; TR/95-108.]

 

 

  • Articles 3, 21, 25 et 39

 

 

 

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__________________________________

 

 

13 Les dispositions de cette Loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

22 Les dispositions de la présente loi s’interprètent d’une façon libérale afin de donner effet à l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.

32.1 La présente loi a pour objet de reconnaître et d’honorer l’obligation du peuple canadien et du gouvernement du Canada de rendre un hommage grandement mérité aux militaires et vétérans pour leur dévouement envers le Canada. Cette obligation vise notamment la fourniture de services, d’assistance et de mesures d’indemnisation à ceux qui ont été blessés par suite de leur service militaire et à leur époux ou conjoint de fait ainsi qu’au survivant et aux orphelins de ceux qui sont décédés par suite de leur service militaire. Cette Loi s’interprète de façon libérale afin de donner effet à cette obligation reconnue.

4 I-25, Interprétation de l’article 12 de la Loi sur les pensions (1978), 8 P.R.B.R. (No. 1) 3., pp. 4, 5

5Fournier c. Canada (Procureur général), 2018 CF 464, paragraphes 85-86, 96, 108-109

6Fournier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 265, paragraphe 35.

7Nicol c. Canada (Procureur général), 2015 CF 785. Remarque : La décision Fournier mentionnée dans cette citation est tirée d’une décision de 2005 qui n’a aucun rapport avec les décisions Fournier de 2018 et 2019.

8Re Interpretation of Section 12 of the Pension Act (1978), 8 P.R.B.R. (No. 1) 3.

9 I-25, Interprétation de l’article 12 de la Loi sur les pensions (1978), 8 P.R.B.R. (No. 1) 3., pp. 4, 5

10Mérineau c. Canada, [1981] 1 C.F. 420; Mérineau c. Canada, [1982] 2 C.F. 376; Mérineau c. La Reine, 1983 CanLII 164 (SCC) http://canlii.ca/t/1xv7t au paragraphe 1

11 I-31, p. 11

12Cole c. Procureur général du Canada, 2015 CAF 119

13Cole, CAF paragraphes 76, 80

14Fournier, CF paragraphe 37

15Fournier, CF, paragraphe 38

16Fournier, CF paragraphe 41

17Fournier, CF paragraphe 42

18Fournier, CF paragraphe 43

19Fournier, CF paragraphe 44

20Fournier c. Canada (Procureur général), 2018 CF 464, paragraphes 85-86

21Fournier c. Canada (Procureur général), 2018 CF 464, paragraphe 96.

22Fournier c. Canada (Procureur général), 2018 FC 464, paras 108-109

23Fournier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 265

24 Notez que les décisions Fournier de 2005 et 2006 concernaient un vétéran différent et une situation différente des décisions Fournier de 2018 et 2019, dont il est question ailleurs dans la décision du Comité d’interprétation.

25Hall, cité

26Frye, cité

27Frye, paragraphes 33 à 35

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